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bonne vie dans les cités voisines et défonçant à l’occasion les portes des chaumières.

Si bien que c’était une calamité dans toute la contrée.

Filles et femmes y passaient, de gré souvent, de force parfois.

On ne voyait par les chemins, dit la légende, que petits mendiants sans nom, fils des œuvres de Monseigneur.

Le Comte Noir mourut, comme il arrive aux bons et aux méchants. Sur son lit d’agonie, il fit confession de ses péchés à madame Berthe et lui donna le secret du passage.

Ce secret passa de père en fils dans la race de Bluthaupt, sans que jamais profane pût le pénétrer.

Les comtes mourants le confiaient au fils aîné de la famille, qui le gardait sa vie durant.

Il y avait pourtant une exception établie en mémoire de la comtesse Berthe, et qui faisait loi dans la famille.

Pour éviter le renouvellement des débauches secrètes du Comte Noir, et afin de se lier les mains à lui-même, tout maître de Bluthaupt qui prenait dame la conduisait, la nuit même des noces, dans la chapelle de Bluthaupt.

Là, sans témoins, il se mettait à genoux devant la tombe de Berthe et tirait de sa poche une grosse clef, rongée de rouille, dont il faisait hommage à l’épousée.

C’était la clef du passage du Comte Noir, dont la porte s’ouvrait dans les caveaux de la chapelle.

Cet usage s’était conservé religieusement depuis le temps de madame Berthe jusqu’à Gunther de Bluthaupt qui avait donné la clef à la comtesse Margarethe.

Ils étaient morts tous les deux, et dans le pays on pensait que la connaissance du passage mystérieux était perdue pour jamais.

Mais, du vivant de Margarethe et de Gunther, le vieux comte, qui nourrissait pour les bâtards de Bluthaupt une haine dédaigneuse et obstinée, avait défendu qu’ils pussent franchir jamais la grille du château.

Margarethe n’avait au monde pour l’aimer que ses trois frères. Timide et faible, elle n’avait point osé résister de front à la volonté de son mari ;