Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/237

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle n’avait point oublié. C’était au moment même où elle apprenait à Otto le nom de son père que le visage de celui-ci avait pris tout à coup cette teinte sombre et froide. Auparavant il semblait si joyeux de la revoir !

Y avait-il donc une malédiction mystérieuse sous ce nom de Geldberg ?

Lia fermait les yeux de sa conscience et ne voulait point réfléchir, elle avait peur de trouver trop bien la cause de l’abandon d’Otto ; ce qu’elle savait de son amant, et de la mission qu’il s’était imposée en cette vie, ouvrait tout un horizon à sa pensée ; mais elle se détournait de cet horizon avec terreur, elle aimait mieux rester aveugle et douter.

Parfois d’ailleurs, et c’étaient les seuls moments de joie qu’elle eût dans sa retraite, parfois, son esprit se révoltait contre le soupçon odieux. N’était-ce pas un homme vénérable que Moïse de Geldberg ? n’était-ce pas un saint vieillard, un patriarche !

Elle s’était trompée, elle s’était entourée d’effrayants fantômes, alors qu’il n’y avait dans la réalité que deux semaines de séparation et de silence.

Otto reviendrait, Otto l’aimait ; oh ! elle avait tant prié Dieu !

Ses mains blanches et pâles se joignaient ; ses grands yeux noirs se levaient vers le ciel ; ses larmes se séchaient sur sa joue brûlante.

Elle était belle, appelant ainsi la prière à son aide, et offrant sa douleur à Dieu, comme un sacrifice ; quelque chose de saint reposait parmi l’exquise perfection de ses traits. Elle était belle, si belle qu’on se sentait pris, en la regardant, par de vagues tristesses.

Les poètes disent que la beauté trop parfaite est, comme le génie trop puissant, un présage de malheur sur notre pauvre terre.

Ils semblent, le haut génie et la beauté divine, égarés dans ce monde qui n’est point leur patrie ; ils passent, mélancoliques et fiers, gardant le secret de leurs souffrances et aspirant à la mort, comme d’autres espèrent le bonheur…

Il y avait dans le secrétaire de Lia une petite cassette en bois de rose, que nous avons vue ouverte et dispersant son contenu précieux sur une table, dans le pavillon de gauche de l’hôtel de Geldberg.

À ses heures solitaires, Lia rouvrait sa cassette aimée et lui demandait