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cette rampe abrupte où les hôtes de Geldberg avaient vu la fantastique apparition des trois Hommes Rouges pendant le feu d’artifice.

Tant que durait le jour Lia ne profitait guère de cette solitude. Elle était forcée de se mêler trop souvent à la foule des invités, et quand elle pouvait s’esquiver sans rompre en visière aux convenances, Denise venait bien vite lui demander asile.

Mais, le soir, elle était seule. Tandis que les salons du château resplendissaient de lumières et de parures, on eût pu voir du dehors une faible lueur briller à la fenêtre de Lia.

Ces heures de la nuit étaient à elle. Denise, heureuse, retrouvait Franz au milieu des plaisirs de la soirée ; elle n’avait pas besoin de Lia. Lia pouvait s’enfuir et fermer à double tour la porte de sa chambre.

Elle était là si loin de la fête, que les échos joyeux n’arrivaient plus jusqu’à elle.

Derrière cette porte fermée, il n’y avait que le silence ; au delà des fenêtres, la campagne déserte et noire, où les cimes hautes des mélèzes se balançaient lentement au vent d’hiver, la cour abandonnée et la bise pleurant dans les ogives dépouillées de l’antique chapelle.

Tout cela était bien triste, mais ce n’était pas à cause de cette tristesse que le cœur de la pauvre enfant se serrait.

À peine avait-elle dépassé le seuil de la porte et poussé derrière elle le verrou protecteur, que tout son courage factice tombait. Elle s’asseyait, brisée, au pied de son lit, et ses yeux, qui naguère encore souriaient, se baignaient tout à coup dans les larmes.

Un nom venait sur sa lèvre, toujours le même, hélas ! Ce nom, qu’elle avait prononcé avec un élan de joie si ardente en voyant le baron de Rodach, debout au milieu du salon de l’hôtel de Geldberg.

— Otto ! Otto !…

Mon Dieu ! qu’avait-elle fait pour tant souffrir !…

Otto ne l’aimait plus ; elle se souvenait de son dernier regard, où il n’y avait qu’une pitié sévère. Et, depuis lors, des semaines s’étaient écoulées ; elle avait vu une fois, une seule fois, le matin du mardi-gras, Otto rôder dans les environs de l’hôtel.

Mais il n’était pas entré, et pas un mot depuis !…