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écus sont à la salle des croisades ; ils n’ont pas la poitrine assez large pour les décorations gagnées par leurs mérites.

Ils sont comtes, marquis, ducs, quelquefois ; le malheur des temps leur a laissé deux ou trois châteaux, mais pas assez de chaumières.

En cet âge de plomb, il faut que tout le monde travaille pour vivre, et l’un des métiers les plus doux, inventés par notre belle civilisation, est assurément celui de chauffeur d’actions.

Aux jours de Fontenoy, c’était fort bien de ceindre l’épée ; maintenant le carnet est infiniment mieux porté.

Il faut être un héros pour gagner vingt mille francs par an avec une épée vertueuse ; il faut être un pauvre diable pour ne pas gagner quatre à cinq mille écus par mois avec un carnet sans préjugés.

Cela fait une différence.

M. le comte, M. le marquis, ou M. le duc, n’a point oublié, soyez-en certains, la gloire de ses aïeux ; mais, au lieu de la continuer, il l’exploite.

Ne faut-il pas bien que la gloire serve à quelque chose ?

Assurément, si les vieux seigneurs du temps de François Ier ou même de Louis XIV voyaient leurs fils, soudoyés par la finance, racler la peau des bourgeois, à la suite de Robert-Macaire, ils entreraient en fort méchante humeur ; mais ce serait le tort qu’ils auraient. Les siècles ont marché : autres temps, autres coutumes ; nous sommes des philosophes ; arrière, l’honneur et les perruques !…

Geldberg, comme toutes les maisons puissantes, avait su enrôler bon nombre de ces nobles courtiers. Il en avait de mâles ; il en avait aussi qui appartenaient à la plus belle moitié du genre humain.

Grâce à ces auxiliaires qui agissaient dans la mesure d’une parfaite convenance et avec un savoir-vivre exquis, la maison comptait en dansant. Ses chefs, tout en ayant l’air exclusivement occupés de la fête, mêlaient à l’agréable une forte dose d’utile.

À part des choses commerciales, il y avait du bon et du mauvais dans les affaires privées. Le chevalier de Reinhold était toujours au mieux avec madame la vicomtesse d’Audemer, qui lui avait promis positivement la main de sa fille : Julien était fou de la comtesse Esther.

Julien n’avait pourtant pas oublié tout à fait le mystérieux billet, reçu