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jusque dans les profondeurs de la douve. C’étaient des mots français mêlés avec un jargon inconnu.

— Un coup de main, Blaireau ! disait une voix gaillarde et de bonne humeur. Accroche-toi à cette pierre qui avance, et tire un peu à droite.

La réponse de Blaireau se perdit au passage, mais on entendit crier l’invisible essieu.

Les trois frères écoutaient et retenaient leur souffle.

— Oh ! hé, papa Johann ! reprenait la première voix, appuyez sur la corde, sans vous commander, ou ça portera trop bas.

— Dieu de Dieu, grommela une autre voix plus enrouée, c’est tannant le métier de canonnier à vol d’oiseau !…

Otto était entre Albert et Goëtz, qui sentirent en ce moment leurs bras serrés d’une convulsive étreinte.

— Entendez-vous ? murmura Otto.

— Oui, répondit Goëtz ; mais je ne comprends pas…

— Ni moi, dit Albert.

— Il ne s’agit plus de suivre notre route accoutumée, reprit Otto, nous n’avons plus que quelques minutes, et qui sait si nous arriverions à temps !… Le danger est là !

Sa main, étendue, montrait les trois hommes dont les silhouettes confuses apparaissaient autour de la lanterne.

— Nous ne sommes pas des oiseaux, murmura Goëtz.

— J’ai monté à l’assaut bien souvent, ajouta l’homme à bonnes fortunes, mais j’avais une échelle de soie… quelque chose pour appuyer mes pieds !…

— Nous avons nos poignards, dit Otto qui roula son manteau sur sa tête et se jeta le premier dans l’eau glaciale de la douve.

En quelques brasses il fut sur l’autre bord ; ses frères le suivaient. Saisi de froid et grelottant, sous les lambeaux trempés de leurs vêtements, ils commencèrent à gravir la rampe opposée.

Ils gardaient maintenant le silence, car ils approchaient des mystérieux ouvriers.

La route était abrupte et le terrain glissant ; ils avançaient avec peine, étouffant le bruit de leurs efforts.