» Cette bonne histoire qu’il me confiait, seulement parce que j’étais son père, lui procurait un rire inextinguible. De ma vie, je n’avais vu Hollandais si heureux ! Il se prenait le ventre à deux mains ; il cachait son nez dans son verre et lançait au plafond sa serviette, que le valet batave ramassait religieusement.
» — Ah ! me dit-il enfin, énervé à force de rire, c’était le bon temps ! J’aimerais à revoir cette vieille masure de Bluthaupt… Mais vous voilà ivre comme un bourguemestre, Monsieur le baron !… Vous tournez sur vous-même et vous allez tomber !
» Mon gilet avala d’un trait une énorme rasade.
» — Oh ! oh !… dit Fabricius, puisque vous avez quatre mains vous pouvez bien boire dans deux verres… Mais j’aurais honte, moi, si j’étais ivre ainsi !
» — Ivre ou non, répondis-je, je parie que je vous gagne une partie d’écarté.
» — Holà ! Corneille ! s’écria-t-il en essayant vainement de se lever, des cartes, mon fils !… apporte des cartes… Je vais lui gagner sa chemise.
» On apporta des cartes. Van-Praët décacheta le paquet d’une main molle et tremblante.
» — Que voulez-vous jouer ? dit-il. Moi, je ne vous prends pas en traître… Je suis de sang-froid et vous êtes ivre.
» — Au diable ! m’écriai-je en feignant de chanceler, je n’ai jamais été si sain d’esprit… et je jouerais en ce moment mon nom de gentilhomme contre une pipe de vin de Xérès ?
» — Oh !… oh ! le brave compagnon, grommela Van-Praët ; quel dommage qu’il ait une si pauvre tête !
» — Ah çà ! répliquai-je, vous m’échauffez les oreilles, vieux Silène !
» Il se tenait les côtes, et grondait en oscillant sur son fauteuil.
» — Oh !… oh !… le voilà qui m’appelle vieil ivrogne !… Tu vas voir, Corneille… tout à l’heure il va me tutoyer !
» — Voyons, repris-je en frappant la table du poing, finissons-en !… Je suis riche, morbleu ! et vous aussi… nous sommes gens de bonne foi tous les deux… voulez-vous jouer votre signature contre la mienne ?