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ressenti à la vue du baron, mettait par trop de trouble dans son intelligence usée ; il se laissait aller tantôt à des frayeurs folles, tantôt à de puériles colères. Puis il s’agenouillait, dompté, repentant, la prière à la bouche.

Cela dura dix minutes, pendant lesquelles la petite Galifarde, l’oreille collée à la porte du magasin, écoutait, stupéfaite, et cherchait à comprendre.

Enfin, Rodach se dégagea des étreintes suppliantes du juif et gagna la porte d’un pas délibéré.

Araby se traîna sur ses genoux jusqu’au moment où la main du baron toucha la clef. Alors il se releva d’un bond sur ses jambes soudain raffermies.

— Maudit sois-tu ! s’écria-t-il en grinçant des dents, toi qui viens m’arracher le cœur !…

La clef tourna dans la serrure. Araby s’élança.

— Écoute, reprit-il essoufflé, je veux bien te payer… je chercherai… je tâcherai… Attends jusqu’à demain…

Rodach fit un signe de tête négatif.

— Jusqu’à ce soir, poursuivit l’usurier.

Nouveau refus.

— Attends une heure !…

— Pas une minute, répondit Rodach d’un ton ferme ; j’ai trop attendu, et si je sors d’ici les mains vides !…

Il n’eut pas besoin d’achever, le juif avait compris. Sa casquette de peau gisait à terre ; on voyait son crâne chauve luire comme de l’ivoire jauni. Ses dents s’entrechoquaient ; la sueur coulait dans ses rides ; sous ses sourcils blancs et touffus, ses yeux brûlaient d’un feu sombre ; toute sa figure exprimait la rage contenue et poignante.

— Reste, murmura-t-il d’une voix entrecoupée, reste !… tu es le plus fort !… Oh ! si mon bras pouvait tenir une arme !… Depuis que j’existe, je n’ai jamais touché une épée… mais toi ! toi qui viens me tuer, jeté frapperais !

Il montra le poing à Rodach avec une véritable folie, puis il se tourna vers ce coin de la chambre où les débris amoncelés atteignaient presque le plafond.