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Pauvre Jean ! il s’était trop hâté ! quelques jours encore et son dur sacrifice devenait inutile, un peu d’aisance rentrait sous le toit indigent des Regnault.

Un frère de Victoire, ancien fort à la halle, venait de mourir en lui laissant un modique héritage.

De sa chambre, Gertraud, qui regardait, hélas ! bien souvent de ce côté, pouvait voir des rideaux de cotonnade remplacer à la fenêtre des Regnault le lambeau de serpillière troué.

Mon Dieu ! ce n’était pas la richesse, mais ce n’était plus la misère, et le bon joueur d’orgue eût été bien heureux !…

Gertraud n’avait pourtant pas gardé entièrement son secret. Un matin, elle avait traversé la petite cour et monté l’escalier de la vieille mère Regnault.

Elle était toujours bien reçue dans la pauvre demeure, tout le monde l’y aimait ; cette fois sa visite fut une source de larmes.

Longtemps après qu’elle eut repassé le seuil, madame Regnault et sa bru restaient encore en face l’une de l’autre, sans parole et comme anéanties.

Elles ne savaient pas ce qu’était devenu Jean : Gertraud venait de le leur apprendre.

Au bout de quelques minutes. Victoire prit la main de la vieille femme qui était glacée.

— Ma mère, dit-elle, Dieu a rappelé à lui mon pauvre frère et nous avons maintenant de l’argent… je vais partir pour l’Allemagne.

— Et moi aussi, répliqua la vieille femme.

Les derniers événements l’avaient rudement ébranlée ; elle semblait n’avoir plus qu’un souffle de vie.

— Vous êtes bien faible, ma mère, objecta Victoire, et moi je suis forte encore…

— Il faut que je revoie notre Jean avant de mourir ! murmura l’aïeule. Je suis faible, c’est vrai… mes heures sont comptées… c’est pour cela que je veux aller à sa rencontre, afin de ne pas perdre un jour.

— Mais nous avons un autre enfant, dit encore Victoire ; si nous partons toutes deux, qui veillera sur mon pauvre Joseph ?