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N’était-ce pas contradictoire et impossible ?

Certes, pourtant, Batailleur ne pouvait s’empêcher de douter ; l’œil de son intelligence n’était pas assez perçant pour avoir pu sonder jusqu’au fond le cœur de Sara, mais elle savait que c’était un abîme.

Quoi qu’il en lut, elle avait trop d’intérêt à rester la servante dévouée de madame de Laurens pour hésiter un seul instant.

Madame de Laurens ordonnait ; il était sage d’obéir. Batailleur avait dépêché madame Huffé pour arrêter deux places aux messageries Laffitte et Gaillard.

Une demi-journée devait lui suffire pour mettre en bonnes mains ses affaires courantes et donner les instructions nécessaires, pour ce qui concernait la maison de jeu, à son premier ministre, M. de Navarin, ancien officier supérieur au service du roi des Grecs.

Restait l’aimable Polyte ; mais ces cœurs de reines surent, dans tous les temps, sacrifier l’amour à la politique. Personne n’ignore ce que les Sémiramis et les Élisabeth faisaient de leurs favoris, dans les grandes occasions.

L’infortuné lion était loin de s’en douter, mais le son en était jeté ; à moins d’un coup de fortune, il passait désormais à l’état de prince in partibus.

— Eh bien, Fifille, dit madame Batailleur, en tapotant la petite joue pâle de la Galifarde, nous avons donc comme ça de grosses peines ?…

— On m’a chassée d’ici, répliqua la pauvre enfant, dont les yeux brûlants retrouvèrent quelques larmes, et je vais coucher cette nuit dans la rue !

— Oh ! que non pas, reprit Batailleur en souriant, il fait trop froid, ma mignonne.

Nono frissonna de tous ses membres.

— Oui… oui, murmura-t-elle, il fait grand froid sur le pavé !

La marchande se pencha et la prit par la main.

— Tout ça, c’est des bêtises ! Fifille, dit-elle. J’ai idée que tu coucheras désormais dans un bon lit… Je viens te chercher ; veux-tu venir avec moi ?

Nono releva sur Batailleur ses grands yeux noirs, embellis tout à coup