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Pour comble de malheur, Gertraud, en apportant son aumône quotidienne, avait parlé d’un grand voyage, d’un voyage qui devait durer bien longtemps.

C’était la dernière ressource qui s’échappait, car le départ de Gertraud était fixé à ce jour-là même.

La petite Galifarde n’avait plus de larmes ; elle était assise sur la pierre, l’œil morne et la tête penchée ; ses mains se croisaient sur ses genoux. À la voir si frêle et si pâle, on pouvait prévoir que sa souffrance sur cette terre aurait un terme prochain et fatal.

Parmi toutes les marchandes du Temple, madame Batailleur était, nous l’avons dit, celle qui la traitait avec le plus de commisération. Nono l’aimait ; elle était si peu habituée à la pitié !

Mais l’intérêt que Batailleur portait à la pauvre enfant n’eût point été jusqu’à lui faire quitter sa place, à l’heure du travail, si quelque autre chose ne l’y avait poussée.

La lettre d’Allemagne qu’elle tenait encore à la main était de madame de Laurens, qui, sans lui rien avouer précisément, la mandait au château de Geldberg et la priait d’amener avec elle l’ancienne servante du prêteur Araby.

Petite avait toujours témoigné une tendresse extraordinaire à la petite Galifarde ; cette tendresse, elle l’expliquait en disant que Nono ressemblait trait pour trait à Judith, l’enfant mystérieux de sa jeunesse, qui était nul ne savait où.

Mais de cet attrait vague, qui portait la grande dame vers la pauvre fille, à l’idée de demander celle-ci au château de Geldberg, il y avait loin.

Ce pouvait être un caprice, mais il était bizarre, et Batailleur trouvait étrange le choix du moment : une grande fête réunissant l’élite du beau monde parisien.

La marchande ne savait vraiment que penser.

Parfois, elle se disait : c’est sa fille. D’autres fois, elle reculait, effrayée, devant l’abominable tableau d’une mère heureuse et riche, laissant mourir de faim son enfant…

Une enfant que cette mère aimait uniquement sur la terre !