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Les gamins du Temple lui improvisèrent, comme toujours, une escorte bruyante ; quand il entra dans le marché, tout le monde, marchandes et revendeurs, se joignit aux enfants pour saluer son passage.

Il continuait sa route, chancelant, plié en deux, mais impassible au milieu de toutes ces clameurs.

Il atteignit enfin la baraque centrale, contenant le bureau de l’inspection.

On fait antichambre là comme dans tout ministère. Araby, humble et patient, attendit son tour dans un coin.

Quand son tour fut venu, il s’approcha de l’employé et tira de sa poche un petit papier couvert de chiffres.

— Monsieur, dit-il en soulevant à demi sa casquette, j’ai payé un franc soixante-cinq centimes pour mon loyer de la présente semaine, et je suis forcé de partir aujourd’hui même.

— Eh bien ? demanda l’inspecteur.

— Mon bon Monsieur, il reste trois jours à courir… cela donne vingt-trois centimes cinquante-sept centièmes par chaque jour, ce qui, multiplié par trois, fournit soixante-dix centimes soixante et onze centièmes… je suis trop pauvre pour vous laisser cet argent-là.

— Vous ne pouvez ignorer, fit observer l’inspecteur, que la semaine commencée…

— C’est quatorze sous qu’on me doit, interrompit le vieillard ; je dis quatorze sous, car j’abandonne volontiers les soixante et onze centièmes.

— L’administration ne peut pas…

— L’administration est riche, mon bon Monsieur, et j’ai bien de la peine à gagner ma vie !

— À un autre ! dit l’inspecteur.

Araby se cramponna des deux mains à la barrière de planches qui sépare l’inspecteur du public.

— Vous ne pouvez pas me refuser ça ! s’écria-t-il, l’argent du pauvre ne profite pas… Tenez, je veux bien y mettre de ma poche… rendez-moi cinquante centimes, et tout sera dit.

L’employé, qui avait souri d’abord, fit un geste d’impatience.

Les voisins d’Araby, qui tous avaient quelque chose à demander, le prirent par les épaules et le poussèrent dehors.