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C’étaient de simples cartes d’admission aux bals, aux grandes chasses de la forêt, aux spectacles, et généralement à tous les épisodes de la fête qu’on avait jugés ne pouvoir se passer de foule.

On n’avait pu jouer sur les lettres adressées personnellement aux nobles amis de la maison ; mais, quant aux invitations de second ordre qui donnaient droit encore à de bien beaux privilèges, la spéculation s’en était emparée avec ferveur.

Cela se vendait à l’instar du bitume et de la houille. Comme la vogue s’était déclarée tout d’un coup, on avait obtenu dès les premiers jours des bénéfices fort respectables. Les jours suivants la prime avait monté, monté si bien qu’au moment où nous sommes arrivés, les cartes qui restaient dans la circulation atteignaient des prix fabuleux.

Et vraiment, à quelque taux que ce fût, n’en avait plus qui voulait. Tel Anglais ouvrait en vain son portefeuille bourré de bank-notes ; tel Russe, prince et arrière-cousin de son empereur, comme cela se doit, offrait inutilement la valeur d’une douzaine de paysans.

On racontait tant de choses inouïes ! La fête durait déjà depuis plus de huit jours, et à mesure que les nouvelles arrivaient à Paris, les désirs surexcités se changeaient en fièvre.

Les départs continuaient. La route d’Allemagne était incessamment sillonnée par toutes sortes de véhicules. Les diligences de Metz étaient trop petites pour le nombre des voyageurs qui, après s’être ruinés pour acheter leurs cartes, faisaient des économies sur les moyens de transport.

Un fait singulier, c’est que l’émotion causée par cette fête fashionable avait pénétré surtout dans le lieu le moins fashionable de Paris.

Aucun quartier de la ville ne s’en ressentait plus vivement que le Temple.

Ce n’est pas que le pauvre bazar comptât beaucoup de ses brocanteurs au nombre des heureux invités ; mais, parmi ses habitants, un grand nombre d’intérêts divers se rattachaient, de manière ou d’autre, à la fête.

Nous avons vu déjà partir pour l’Allemagne Mâlou et Pitois avec leurs sultanes favorites, en compagnie de Fritz et de Jean Regnault.

Une semaine environ après ce départ, nous aurions pu assister à une petite scène qui présageait au Temple la perte d’un de ses fidèles.