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passe ; Rodach tendit le papier, dont le vieillard s’empara précipitamment.

Ce dernier fixa sur son nez ses lunettes larges et rondes : il palpa l’effet, le retourna, le sentit pour ainsi dire et mit à l’examiner dans tous les sens une minutieuse lenteur.

— Et Geldberg a laissé protester cela ! murmura-t-il avec un gros soupir ; la maison de Geldberg !… la grande maison de Geldberg !

Il s’interrompit ; sa tête se pencha.

— De mon temps, poursuivit-il en se parlant à lui-même, c’était ce Zachœus Nesmer qui était notre débiteur !… Ils l’ont voulu, les enfants ingrats !…

— Eh bien ?… dit Rodach.

L’usurier fit un pas vers lui, tenant toujours la traite à la main.

— C’est impossible ! grommela-t-il entre ses dents ; cent trente mille francs !… qu’est-ce que cette bagatelle pour la caisse de Geldberg ! Il y a là-dessous quelque chose, et vous ne me dites pas tout, Monsieur !…

— Il y a, répondit Rodach, opposant toujours son calme imperturbable à la croissante agitation du prêteur, il y a que la caisse est vide… et qu’avec ce chiffon je puis mettre la maison en faillite.

— Seigneur ! Seigneur ! balbutia le vieillard ; tant de richesses amassées !… une fortune qui m’avait coûté si cher !… Oh ! mes enfants ! mes enfants !…

— En cette circonstance, reprit le baron, dont la voix semblait plus tranquille à mesure que celle du vieillard tremblait davantage, j’ai dû réfléchir… la justice est lente… j’ai pensé qu’en m’adressant à l’ancien chef de la maison Geldberg…

Araby frissonna de la tête aux pieds, et tâcha, par un mouvement instinctif, de cacher sa figure derrière sa grande visière.

— J’ai mal entendu, balbutia-t-il ; mon bon Monsieur, je ne vous comprends pas… que parlez-vous du chef de la maison de Geldberg ?

Rodach se leva ; Araby aurait voulu fuir, mais ses jambes étaient de plomb. Quand il sentit le doigt de Rodach peser sur son épaule, il faillit perdre l’équilibre et tomber à la renverse sur le sol.

— Vous êtes monsieur de Geldberg ? reprit Rodach.