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Reinhold s’applaudissait à part lui, et jouissait de ce résultat précieux.

Quant au bon Van-Praët, il essuyait ses yeux secs avec son grand foulard.

— Messieurs, reprit Sara en s’adressant aux deux étrangers, vous êtes les anciens amis de mon père… je vous regarde comme étant presque de la famille, devant tous autres, j’aurais trouvé la force de me taire, mais je sais bien que je puis parler devant vous… Oui, cet homme a choisi un de ses pareils, rompu à l’astuce et à la tromperie !… il me l’a envoyé, à moi, pauvre femme sans défiance !… j’ai vu avec terreur entre les mains d’un inconnu des secrets qui pourraient perdre mon mari !… il a menacé, j’ai cédé et Monsieur le docteur doit avoir maintenant les cent mille écus arrachés à une femme qui était son amie !

La voix de Petite, où il y avait des larmes, était plus éloquente encore que ses paroles.

— C’est odieux et lâche ! s’écria le Madgyar en serrant les poings.

Reinhold et Abel gardaient le silence.

— Oh ! docteur, cher docteur ! murmura Van-Praët, êtes-vous bien capable d’une action si noire ?…

Le docteur baissait les yeux ; des paroles se pressaient sur sa lèvre tremblante et blêmie ; mais il les contenait énergiquement, et affectait une résignation grave et sombre.

La comédie débordait dans cette scène, qui voulait toujours tourner au drame. Une chose étrange, c’est qu’on y parlait de vol, et que ce mot, accueilli avec indignation par la moitié au moins des assistants, aurait dû être écrit en belles lettres d’or sur les murailles de la salle.

Plaignants et accusés en étaient tous au même point ; pour aucun d’eux, le mot probité n’avait de signification bien précise.

En fait, Abel de Geldberg n’avait aucun crime à se reprocher ; mais c’était peut-être la faute des circonstances. Pour trouver un semblant de cœur entre ces six personnages, il eût fallu fouiller la brutale poitrine du Madgyar.

Il avait tué, il avait volé ; mais tout sentiment n’était pas mort au fond de son âme, et du moins avait-il le courage du bandit.