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Il y eut quelques secondes de silence.

— Mais pourquoi parler de mort ? s’écria tout à coup le baron, dont la voix se releva changée ; ne dirait-on pas que nous l’abandonnons sans défense aux hasards de cette lutte qui va décider du sort des Bluthaupt !… Je veux qu’il soit sur la brèche comme il convient aux fils de ses pères ; mais je veux auparavant lui donner une solide armure… Ami Dorn, je pense à cela sans relâche ; quand le sommeil surprend mes yeux lassés, j’en rêve… Toutes les nuits, ne voit-on pas sa douce mère, Margarethe, qui vient me dire avec son sourire confiant : « J’espère en toi ; je prie Dieu pour toi. Le dernier nom qui vint sur ma bouche avec mon dernier soupir, ce fut le tien… Oh ! travaille ! travaille ! et tu le sauveras !… »

— Elle vous aimait bien, murmura Hans Dorn, dont la paupière devint humide, parce qu’il revoyait au fond de sa mémoire la pauvre femme, blanche et pâle, couchée sur son lit de douleur.

— Et moi, reprit le baron d’une voix tremblante, et moi ne l’ai-je pas aimée uniquement depuis les jours de ma jeunesse… Y eût-il une sœur plus saintement, plus fidèlement chérie ?

Ses yeux s’égaraient dans le vide et peignaient comme un vague remords.

— C’est vrai, poursuivit-il, en se parlant à lui-même ; une autre image est venue se graver au fond de mon cœur !… Lia ! ma pauvre Lia, que je vais faire si malheureuse !… Je l’ai aimée… Oh ! je l’aime !

Il pressa son front à deux mains.

Hans le regardait avec étonnement.

— Ma sœur ! ma sœur ! reprit Rodach, dont le visage exprimait une angoisse amère, si ce fut un crime, pardonne-moi !… N’as-tu pas vu mes combats et ma peine ! Ce fut dans la vie mon espoir unique, mon seul bonheur !… J’y renoncerai.

La sueur inondait son front pâle ; la fièvre était dans ses yeux qui brûlaient, hagards et sombres.

— J’y renoncerai ! s’écria-t-il avec une sorte de transport ; cette image, je la chasserai de sa place usurpée !… j’étreindrai mon cœur pour en exprimer jusqu’au souvenir !…