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légère… Ses sens de feu n’ont jamais eu le frein et les conseils d’un père. Des passions libres, des désirs inquiets, désordonnés, la fièvre vive de l’adolescence !… Était-ce assez d’un amour pour cette âme ivre de force et de sève ?

Son regard, qui brillait derrière ses paupières demi-closes, avait, malgré lui, un rayonnement d’orgueil.

— L’aimerais-je mieux sage ? reprit-il encore… n’est-il pas tel que l’ont rêvé mes nuits de solitude, vaillant, fougueux, prodigue de lui-même, et jetant le surplus de sa riche adolescence aux femmes, au jeu, aux aventures ?… Nous le corrigerons, ami Hans ; mais, fi ! du cheval paisible et dompté d’avance, qui ménage ses bonds avant d’avoir senti le mors !…

— Parfois, dit Hans à voix basse et d’un accent de tristesse, le cheval trop ardent ne voit point le précipice ouvert au-devant de sa course étourdie…

— Nous sommes là, répliqua Rodach en redressant sa tête hautaine, et Dieu qui a protégé dans la misère obscure le sang méconnu des nobles comtes, ne laissera point son œuvre inachevée… Soyons prêts seulement, ami Dorn, et veillons.

Hans mit la main sur son cœur.

— Gracieux maître, dit-il, je suis prêt, et ma vie est à vous.

— Cette femme dont je parlais, reprit Rodach, l’a aimé d’un caprice trop tôt assouvi… elle le craint : elle le déteste… C’est un de ces êtres puissamment organisés pour le mal, qui appliquent au crime le calcul profond d’une expérience consommée… J’avais quitté l’Allemagne pour livrer à Paris une dernière bataille, et c’est en Allemagne qu’il nous faudra combattre cependant… Nous sommes forts ; le hasard et ma volonté ont mis entre nos mains des armes redoutables… mais j’ai peur de cette femme, qui saura peut-être attirer Franz dans le piège et le perdre au moment de la victoire.

Hans Dorn ne comprenait point ; il attendait une explication.

Rodach lui raconta la scène qui avait eu lieu, le soir précédent, à la maison de jeu de la vue des Prouvaires entre lui et Petite. Hans avait entendu parler déjà de la fameuse fête de Geldberg ; un frisson courut par