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Geignolet, à l’instar d’Homère, mettait l’histoire en chansons.

Tout en regardant les recors avec ses gros yeux hébétés, il caressait sous sa blouse le grand clou aiguisé sur le pavé du Temple. C’était son arme ; il attendait avec patience le moment de s’en servir.

Geignolet ne regardait pas seul les trois recors ; d’autres yeux les guettaient depuis leur arrivée, deux beaux yeux remplis d’effroi naïf et de tristesse.

Gertraud était debout derrière les rideaux de sa croisée ; elle cherchait à percer la serpillière sombre, tendu : devant la fenêtre de Jean.

Pourquoi Jean ne se montrait-il pas ? Gertraud devinait ce que venaient faire dans la cour ces hommes à visages sinistres.

Pourquoi Jean n’était-il pas là, lui qui aimait tant son aïeule ?

Que s’était-il passé durant cette nuit ? Gertraud se reprochait amèrement son indifférence de la veille. Tout entière à son devoir, qui était de protéger le secret de mademoiselle d’Audemer, elle avait repoussé Jean. Il lui semblait revoir à cette heure le dernier regard du pauvre joueur d’orgue ; il souffrait ; il était jaloux !

Et ce matin, elle ne l’avait point vu revenir, suivant sa promesse, pour rendre les habits empruntés…

Il était si malheureux ! Gertraud avait peur.

Oh ! qu’elle eût voulu le retrouver, lui sourire, sécher ses larmes avec des caresses ! Comme elle avait de bonnes paroles toutes prêtes pour le consoler et guérir sa pauvre âme froissée !

Mais la serpillière dont le coin se soulevait toujours à cette heure restait immobile ; la chambre de Jean était déserte. Et les hommes arrêtés dans la cour se consultaient. Gertraud traduisait leurs gestes et devinait leurs paroles. Ils allaient monter pour arracher la vieille femme à son grabat et l’entraîner jusqu’à la prison redoutée.

Quand le baron entra, Gertraud n’eut point pour lui de sourire. Elle lui montra du doigt la porte de Hans et retourna, triste à sa fenêtre.

Le marchand d’habits réparait son absence de la veille et mettait ses comptes à jour ; il ferma son gros livre, pour recevoir M. de Rodach avec empressement et respect.