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Gunther regarda la pendule.

— Une heure de passé ! dit-il joyeusement ; — le métal bout au fond du creuset ; l’enfant s’agite dans les flancs de sa mère… Oh ! l’heureuse nuit ! l’heureuse nuit pour la maison de Blulhaupt !

Margarethe se tordait en de convulsives angoisses ; ses cris devenaient de plus en plus perçants : — le vieillard tendait l’oreille et semblait les savourer comme une douce musique.

Les trois associés demeuraient immobiles et froids.

Le page et la jeune fille se taisaient ; chacune des plaintes de la comtesse répondait au fond de leurs cœurs.

— Gertraud ! dit en ce moment Margarethe qui croyait mourir. — À mon secours ! à mon secours !

Gertraud bondit à cet appel et s’élança vers le lit.

Mais le docteur la prévint ; il se leva et se mit entre elle et la malade.

— Gertraud ! disait la pauvre Margarethe, m’abandonnes-tu, toi aussi ?

La jeune fille fit effort pour passer, malgré le Portugais ; des larmes de compassion et de colère mouillaient ses yeux.

— Retirez-vous, ma fille, dit le grave José Mira de son ton le plus solennel.

— Mais ma maîtresse m’appelle ! voulut répliquer Gertraud.

Le docteur la repoussa et se tourna vers le vieux comte.

— Cette enfant, par sa folle persistance, dit-il, augmente les dangers de ce moment de crise.

Une nuance de vermillon vint aux joues blêmes du vieillard, tant il eut de courroux.

— Retirez-vous, misérable fille ! s’écria-t-il en la menaçant du poing. — Osez-vous bien résister à mon docteur !… Mon docteur est le maître, entendez-vous, et tout le monde ici doit lui obéir !

— Gertraud ! Gertraud ! murmura Margarethe dont la voix s’affaiblissait.

Gertraud se couvrit le visage de ses mains, en sanglotant.

— N’appelez plus Gertraud, Madame, dit le vieillard d’un accent moitié impérieux et moitié caressant : — soyez raisonnable, je vous prie ; vous avez entendu le docteur… mon meilleur ami, Madame !