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— Je vais retourner, dit-il en serrant avec force la main de son compagnon.

Polyte fit trêve enfin à son interminable sermon.

— Où ça ? demanda-t-il étonné.

— Il doit y être encore, reprit Jean, sans se mettre en peine de répondre ; je veux le tuer !

— Tuer qui ?

Jean tourna sur ses talons et se dirigea en sens contraire. Polyte courut après lui afin de le retenir.

Jean se débattait ; son visage était pourpre et ses yeux avaient des regards insensés.

— Je veux le tuer ! répétait-il ; le tuer !… Si tu savais ce que j’ai vu ce soir !… il était assis auprès d’elle et lui baisait la main… Je sais bien que c’est mon mauvais génie… la mère Regnault va mourir sur la paille, dans sa prison… et Gertraud ! oh ! Gertraud qui ne m’aimera plus !…

Deux larmes roulèrent sur sa joue brûlante.

— Je ne croyais pas si bien dire, pensait Polyte, le pauvre garçon est fou à mettre en cage ! Allons, Jean, mon fils, sois raisonnable et viens nous coucher !

Jean fit un dernier effort pour se dégager, mais son abattement le reprenait ; il cessa bientôt de se débattre, baissa la tête jusque sur sa poitrine, et suivit machinalement Polyte, qui l’entraînait vers le quartier du Temple.

Le dandy ne grondait plus ; il avait pitié ; son éloquence s’employait maintenant à remonter le moral du joueur d’orgue.

— On reverra ça, disait-il ; ça va et ça vient… Si nous pouvons rattraper la veine, nous ne ferons plus de bêtises !… Dieu de Dieu ! ajoutait-il en a parte, c’est un peu de boisson qu’il faudrait à cet homme-là… As-tu soif, Jean ?

— Oui, répondit le joueur d’orgue qui mit sa main sur sa poitrine oppressée, grand’soif !

— Comme ça se trouve ! moi, je boirais la Seine. Mais du diable si nous trouverons un endroit ouvert… et puis d’ailleurs, nib de braise ! absence générale de monnaie !