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— Je fais cent francs, dit son voisin.

— Moi, trois cents.

— Moi, cinquante.

Et ainsi de suite.

Quand le dernier joueur eut parlé, il manquait environ le quart de la somme.

Il y avait deux ou trois minutes que Jean n’avait gagné. Une colère folle s’amassait au-dedans de lui. Ses pieds trépignaient sous la table, et ses doigts crispés cherchaient quelque chose à broyer.

La difficulté de faire le jeu prolongea cette fois l’intervalle entre les deux coups.

Jean bouillait d’impatience.

— Ça ne va pas ce soir, dit Franz. Deux cents louis vous mettent en déroute… ça fait pitié !

Le regard de Jean, qui n’avait pas encore dépassé le milieu de la table, se releva un peu et alla jusqu’au las d’or qui était devant Franz.

Il s’arrêta là. Ces sons confus tintèrent dans les oreilles du pauvre joueur d’orgue ; il se retourna comme pour chercher Polyte et se retenir à lui.

Polyte était à l’autre bout de la chambre.

Le regard de Jean revint comme si un ressort l’y eût poussé, vers le tas de louis qui lui faisait face ; ses narines s’enflèrent ; sa poitrine rendit un souffle fort et bruyant.

Jusqu’à ce moment, il avait avancé sa mise avec timidité et sans mot dire, sa voix inconnue s’éleva tout à coup au milieu de silence et fit relever la tôle à tous les joueurs.

Polyte interrompit, en tressaillant, sa promenade, et regagna en trois bonds son poste abandonné.

— Je tiens tout ! avait dit Jean Regnault d’une voix brève et rauque.

— À la bonne heure ! s’écria Franz. Voilà un brave !

Les autres joueurs retirèrent leur mise et regardèrent ; c’était un duel fort intéressant. La partie commença.

Dès la première carte retournée, Jean se sentit comme ivre ; le sang monta violemment à sa joue et ses yeux se troublèrent. Il couvait avidement le jeu ; il cherchait à voir, mais il ne pouvait pas.