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lures prudentes et discrètes du gros des habitués. Ils traversèrent la salle, bras dessus bras dessous, et firent le tour de la table pour s’approcher de madame la baronne de Saint-Roch.

Petite serra fortement le bras de Rodach et poussa un soupir de commande, tandis que son regard se dirigeait vers les nouveaux arrivants.

L’œil de Rodach prit la même direction.

— Serait-ce lui ? demanda-t-il.

— C’est lui ! répondit Sara comme à regret.

— Lequel ?

— Le plus petit.

— Mais c’est un enfant !

Sara eut peur que Rodach ne se fît des scrupules.

— Un enfant qui vaut un homme, répliqua-t-elle, et qui a tué en duel, ce matin même, une des plus fortes lames de Paris !

— Peste ! fit Rodach qui ne put s’empêcher de sourire en songeant au pauvre Verdier ; eh bien ! nous le verrons à l’œuvre !… Mais j’y pense, cette forte lame, dont je déplore le destin malheureux, n’ôtait-il pas un peu de vos amis ?

Petite hésita franchement cette fois.

— Non, répondit-elle enfin à voix basse ; mais s’il faut vous parler vrai, Albert, ce duel m’avait ouvert les idées… et je comptais…

— Vous comptiez ?…

— Croyez-moi, je vous en prie, c’était pour vous, pour être à vous, sans contrôle ni partage !… je suis riche… Mon père doit donner une grande fête en Allemagne, à son château de Geldberg… je omptais…

Rodach eut un frisson ; il comprenait.

— Vous avez donc un autre champion que moi ? demanda-t-il en tâchant de garder son air d’indifférence.

— Je suis riche ! répéta Sara froidement ; et maintenant je puis vous le dire… si je suis allée ce soir chez ce jeune homme, c’était pour l’inviter à la fête de Geldberg.

Sara ne remarqua point la pâleur qui couvrait le visage du baron.