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seul qui me regarde… et c’est celui-là justement que je veux savoir.

— Tous mes secrets ! répéta Sara, dont l’effroi revenait.

Son œil interrogea les traits du baron à la dérobée. Rodach semblait rêver.

Petite le contempla durant un instant, faisant pour ainsi dire une comparaison rapide entre sa force, à elle, et la puissance de cet homme, qui osait lui dire : Je sais tous vos secrets…

Ne se trompait-il point ?

À mesure que Sara songeait, son regard s’assurait et les plis de son front disparaissaient.

Tous ses secrets ! Quelle folie ! Et, d’ailleurs, elle croyait que Rodach l’aimait encore ; n’était-elle pas sûre de son empire ? ne savait-elle pas qu’elle pouvait envahir et tyranniser tout cœur qui s’ouvrait imprudemment à elle ? Sa vie ne s’était-elle point passée à séduire, à fasciner, à vaincre ?

Y avait-il pour elle des faibles et des forts ? n’avait-elle pas courbé les âmes les plus fières sous le niveau de son joug ?

Elle attendit, prête à tout désormais et sûre de la victoire.

— Sara, reprit M. de Rodach après quelques secondes de silence, un aveu franc peut tout réparer… le cœur s’égare parfois et ceux qui aiment pardonnent… Qu’êtes-vous allée faire ce soir chez ce jeune homme de la rue Dauphine ?

Petite était résolue à ne s’étonner de rien ; et pourtant elle fut étonnée.

— Quoi ! balbutia-t-elle, vous savez aussi cela ?…

— Ce que j’ignore et ce que je voudrais expliquer avantageusement pour vous, répliqua le baron, c’est le motif de cette démarche… il me semble que l’amour seul…

Sara respira bruyamment.

— Vous êtes jaloux, dit-elle avec vivacité.

— N’en ai-je pas sujet ?… demanda le baron.

À vrai dire, si son rôle lui pesait, du moins n’avait-il pas grand’peine à le jouer. Sara l’y aidait à son insu, et cette créature si habile, gâtée par l’habitude de triompher, fermait les yeux et se livrait en aveugle.

Elle réfléchit un instant. Une circonstance oubliée lui revenait tout à coup à la mémoire.