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— Albert ! Albert ! murmura-t-elle enfin d’une voix qui trahissait son trouble, vous êtes un homme étrange ! Qui vous a conduit ici, et comment y avez-vous pu entrer ?… Était-ce moi que vous y veniez chercher ?

Le baron eut un sourire froid.

— Voici bien des questions, belle dame, répliqua-t-il. Procédons par ordre… Ce qui m’a conduit ici, c’est le hasard un peu et beaucoup ma volonté… Je suis entré en me disant l’ami de M. de Navarin et en prononçant le nom respectable de madame la baronne de Saint-Roch.

Sara pâlissait à l’entendre.

— Quant à la troisième question, reprit le baron, pouvez-vous douter, charmante dame, que je sois venu ici pour vous ?

Il s’arrêta et poursuivit presque aussitôt, en mêlant à sa gravité une imperceptible nuance d’ironie :

— Seulement je suis venu peut-être pour autre chose encore…

— Et cette autre chose ?… demanda Petite qui tâcha de sourire.

Le baron s’inclina et répondit :

— Ceci est mon secret.

Petite releva sur lui son regard, comme si elle eût voulu lire sa pensée dans ses yeux. Mais les yeux de M. de Rodach, fiers, brillants, expressifs, étaient en ce moment comme un miroir où nul objet ne vient se peindre.

D’ordinaire Petite jouait supérieurement la comédie ; mais quel rôle prendre à cette heure ? La pensée intime du baron lui échappait : elle ne savait s’il était ami ou s’il était ennemi.

Jamais il ne lui était venu à l’idée de prévoir un danger de ce côté. Elle avait aimé Albert et peut-être eût-elle rallumé volontiers pour quelques jours le feu de paille de son caprice éteint ; ceci d’autant mieux que l’objet de ce caprice lui apparaissait sous un aspect nouveau.

Elle l’avait connu vif, étourdi, fougueux en actions comme en paroles ; elle le retrouvait grave et froid. C’était un masque sans doute ; mais pour un homme de ce caractère, un masque est chose lourde à porter. Et Albert portait le sien, comme s’il n’eût fait autre métier de sa vie.

La veille, au milieu de la foule du bal, Petite l’avait retrouvé semblable à lui-même ; mais elle n’avait fait que l’entrevoir sous ce pimpant cos-