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martyre de l’idiot, la misérable créature qui s’étiolait, entourée de la pitié dédaigneuse des pauvres gens du Temple !

Judith, qui demain peut-être allait changer son maigre matelas, jeté à nu sur la pierre contre une couche somptueuse, son indienne humide et usée contre les dentelles et le velours, ses larmes contre des sourires, sa pauvre petite face hâve contre la beauté de la jeunesse heureuse !…

C’est qu’elle était belle, même sous sa souffrance !

Que de rayons la joie inconnue allait mettre dans ses grands yeux allanguis ! que ces cheveux incultes allaient briller doucement ! que de grâces dans cette taille affaissée par le besoin et enlaidie par d’ignobles haillons !

Sara souriait. Jamais elle ne l’avait si bien vue ; jamais elle n’avait plongé si avant dans l’affreuse misère où se mourait sa fille, et c’était à la veille de la délivrance, à la veille du triomphe et de l’allégresse !

Mon Dieu ! Judith n’avait pas quinze ans. Toute une vie de joie, pour quelques années de peines ! Combien de jours lui faudrait-il pour oublier sa souffrance passée ? la jeunesse refleurit bien vite, et le malheur qui ne menace plus est un charme…

Sara songeait ainsi. Elle arrangeait l’avenir de sa fille ; elle le faisait beau, doux, radieux : elle avait toutes ces prévoyances bonnes, toutes ces tendres délicatesses qui font du cœur des mères comme un nid moelleux où repose la pensée de l’enfant…

Puis d’autres idées venaient ; un nuage passait sur son sourire, son front se ridait, menaçant. N’était-ce pas encore pour Judith ?…

Elle songeait à M. de Laurens, qui était l’obstacle placé entre Judith et la vie ; elle songeait à Franz, qui pouvait tuer l’avenir de la fille en perdant la mère.

Et son front se redressait terrible, ses cils demi-baisses voilaient son regard impitoyable et froid.

Il fallait tuer pour se défendre…

Et, parmi toutes ces pensées, d’autres se glissaient, perverses et frivoles. L’âme de cette femme était un chaos. Tous les degrés du mal s’y mêlaient, impuissants à éteindre une étincelle de feu divin.

Madame de Laurens rêvait à Lia, sa jeune sœur. Tandis que Judith souffrait, Lia était heureuse !