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lieux publics. On arrivait au premier étage après avoir jeté au portier, discret et payé, le nom de madame la baronne.

À la porte, on était reçu par un vieux domestique à mine vénérable, front chauve, livrée grise, sourire bénin et patriarcal.

Ce brave homme était le contrôleur de l’établissement. Il recevait les bons ; il éconduisait les suspects. Et ceux qu’il éconduisait restaient persuadés qu’ils avaient fait une fausse démarche.

Un vieillard si respectable pouvait-il être le cerbère d’un tripot ?

Il faut savoir se meubler. C’était Petite qui avait choisi ce serviteur précieux.

Du seuil on n’entendait aucun bruit, sinon parfois un murmure étouffé, lorsque la voix des joueurs s’élevait par hasard au-dessus du diapason ordinaire.

La chose était rare, car une consigne sévère faisait la loi dans la salle et ordonnait de se ruiner tout bas. Mais, en ce cas-là même, les voix perdaient leurs éclats en traversant les portes rembourrées. Elles arrivaient à l’oreille du profane comme un doux écho de conversations courtoises.

On n’entendait point le tintement de l’or ; on n’entendait point la monotone mélopée du banquier menant le jeu à l’aide de ces paroles sacramentelles qui frappent l’oreille d’ordinaire, dès qu’on aborde les avenues d’un tripot.

Une fois admis, on entrait dans une antichambre de bonne maison, n’ayant que le nombre voulu de porte-manteaux, mais flanquée d’un prudent cabinet dont les murailles s’ornaient d’un cordon de patères.

Après l’antichambre, venait un petit salon où quelques dames, jeunes et jolies pour la plupart, semblaient réunies pour passer la soirée.

Ceci était sans doute un leurre pour la police, en cas d’accident ; c’était peut-être encore autre chose.

Dans la troisième pièce, il y avait une table de lansquenet, présidée par un employé de la maison.

Dans la quatrième, qui était la dernière, un vaste tapis vert, en forme de carré long, entouré d’un quadruple rang d’amateurs, servait à jouer le trente et quarante.