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— Et déjà des confidences ?… murmura Denise étonnée.

— Oh ! dit Gertraud, depuis hier il s’est passé tant de choses !… M. Franz a été en danger de mourir… Cela compte pour dix ans, mademoiselle.

En prononçant ces dernières paroles, l’accent de la jeune fille se fit sérieux et pénétré.

Puis elle baissa de nouveau ses yeux sur sa broderie.

Denise aurait voulu l’embrasser.

Franz en était toujours à l’embarras de son mensonge involontaire.

— Sur mon honneur, dit-il, je n’ai point voulu vous en imposer, mademoiselle. Je ne me connais pas d’autres amis que Gertraud et son père. Il me semble qu’ils m’ont toujours aimé comme ils m’aiment, et si je vous ai trompée, c’est bien malgré moi…

— Merci, ma bonne Gertraud, murmura Denise, je ne savais pas te devoir tant de reconnaissance.

— Mais j’aurai des amis, maintenant, reprit Franz avec un élan subit. Je veux vous dire tout en deux mots, Denise. Je suis riche et je suis noble.

— Dites-vous vrai ? murmura la jeune fille étonnée.

— Et le plus cher de mes bonheurs, poursuivit Franz, c’est d’avoir eu votre amour alors que j’étais pauvre et sans nom !

Il parlait avec une conviction si profonde et le sentiment exprimé par lui était si bien celui d’un homme élevé tout à coup au-dessus du malheur, que Denise ne conçut pas l’ombre d’un doute.

Gertraud, au contraire, malgré son ignorance de la vie, sentait vaguement tout ce qu’il y avait d’obstacles et d’incertitude entre la position réelle de Franz et ce bonheur espéré. Son cœur se serrait à le voir si confiant. Une voix s’élevait au dedans d’elle comme un écho funeste, et répondait : Malheur ! à ces élans de joie.

Elle, si gaie d’ordinaire, elle ne savait pourquoi ces paroles d’allégresse sonnaient faux à son oreille et la rendaient triste.

— Vous avez raison, Franz, dit mademoiselle d’Audemer, je vous aimais pauvre ; je vous aurais aimé toujours… mais que Dieu soit béni ! car je n’aurais point désobéi à ma mère et nous aurions été bien malheureux !