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Elle ne savait point jouer ce vieux rôle tout chargé de grimaces et de mensonges que la routine impose aux jeunes filles ; elle était elle-même toujours, c’est-à-dire gracieuse, décente et digne.

Dans le monde où sa mère l’avait conduite, il y avait assurément beaucoup de ravissantes demoiselles et beaucoup de jeunes messieurs tout pétris de séductions ; mais Denise, soit qu’elle fût trop difficile, soit qu’elle eût le goût malheureux, n’y avait trouvé que deux êtres à qui donner sa sympathie : Lia de Geldberg, qui était bonne et simple comme elle, et Franz.

Dans tout le reste, elle n’avait vu que de beaux yeux, de beaux teints, de belles robes, de belles moustaches et de beaux gilets.

Encore n’avait-elle point ce qu’il faut d’expérience pour faire la juste part des postiches…

Elle avait trié le pauvre Franz au milieu de cette riche foule. Bien que l’éducation et les circonstances eussent singulièrement terni chez lui cette fine fleur de race dont nous parlions tout à l’heure, elle l’avait séparé du gros de ces bons gentilshommes qui se fâchent quand on les appelle par le nom de leur père. Elle avait senti sous son étourderie folle les instincts du chevaleresque honneur.

Ils s’étaient aimés en même temps et sans se le dire. Leurs aveux s’étaient croisés la veille seulement, mais c’était une liaison déjà vieille. Il y avait des mois que l’échange était fait entre leurs cœurs.

Nous avons dit qu’il existait entre leurs visages une ressemblance assez grande, et qui devenait frappante lorsque leur physionomie se trouvait exprimer le même sentiment par hasard. Au moral, il n’y avait entre eux d’autres rapports que la franchise égale de leurs cœurs. Leurs caractères, sans être opposés, ne se ressemblaient point. Franz était vif, pétulant, oseur ; Denise était plutôt calme et timide. Franz poussait la gaieté jusqu’à la folie ; Denise était sérieuse. Mais il est certain que Dieu n’a point fait les caractères humains suivant les règles de l’art poétique. L’homme se transforme incessamment, suivant les circonstances. Les parts que nous avons faites à Franz et à Denise pouvaient varier comme toutes choses, au point d’arriver à une bascule complète.

En ce moment, par exemple, où elle franchissait les limites des conve-