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— Me voilà qui les aime, dit la jeune fille en souriant, — puisque vous les aimez… Écoutez-moi, maintenant, ami ; peut-être comprendrez-vous ce que je ne comprends point…

» Il était minuit environ. Je couchais dans le cabinet dont la porte est là derrière moi. Le bruit de la tempête m’empêchait de dormir.

» Plusieurs fois, il m’avait semblé entendre des frôlements indistincts dans la chambre de ma maîtresse ; j’avais cru que c’était elle qui s’agitait en son sommeil et qui se retournait sur son lit.

» À gauche de la draperie tendue pour garder du vent le lit de la malade, vous voyez bien cette petite porte, Hans ?… »

Hans fit un signe affirmatif.

Gertraud lui désignait du doigt la porte de l’oratoire. — Elle était pâle et sa voix chevrotait.

— Ce fut une scène terrible ! murmura-t-elle, comme en se parlant à elle-même ; — vivrais-je cent ans, elle sera là, toujours devant mes yeux…

» Cette porte, reprit-elle, donne dans l’oratoire de la comtesse, qui communique avec une cour intérieure par un escalier hors d’usage. Cette cour n’a point d’issue.

» Avant le jour dont je vous parle, je ne connaissais ni l’escalier ni la cour.

» Malgré ces bruits confus que j’entendais toujours dans la chambre de ma maîtresse, je commençais à m’endormir, lorsqu’un choc subit me mit brusquement sur mon séant.

» C’était comme une porte qu’on ouvrait de force non loin de moi. — Je m’élançai hors de ma couche et d’un bond j’entrai dans la chambre où nous sommes, qui était faiblement éclairée par une lampe de nuit.

» Voici ce que je vis :

» La comtesse Margarethe, pâle encore des souffrances de la journée, renversait sa jolie tête sur l’oreiller, au milieu de ses cheveux blonds épars. Elle subissait l’effet d’un breuvage que je lui avais donné la veille, sur l’ordre du médecin Mira : elle semblait dormir profondément. — Entre elle et moi, il y avait cet étranger arrivé au château dans la soirée.

— Il était tête nue ; son manteau noir gisait auprès de lui. Un de ses genoux s’appuyait sur le lit de la comtesse…