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de suffisance, — ayant l’habitude de la société, n’ait pas pensé à la chose du premier coup… le fait est qu’il y a plusieurs raisons, mon pauvre Jean… Avec de l’aplomb tu pourrais entrer, quoique blanc-bec, car il n’y a pas de sergents de ville pour demander des extraits de naissance… mais c’est tous gens soignes et comme il faut dans ces endroits-là… Ta veste de velours et ta casquette ne seraient pas de mise.

Jean baissa la tête, cette objection lui parut accablante.

— Mon Dieu ! mon Dieu !… murmura-t-il, est-il possible d’être arrêté par une chose comme ça !

— C’est dur ! répliqua le dandy, — mais que veux-tu ? sans tenue, on ne passe nulle part.

Jean tourmentait de la main son front brûlant ; il était tout prêt à pleurer de rage.

— Là-dessus, mon bonhomme, reprit Polyte, je vais te souhaiter meilleure chance et m’évanouir.

— Reste encore un peu !… s’écria Jean avec prière.

— Je resterai tant que tu voudras, mon fils… mais ça ne sert à rien et ça ne m’amuse guère… À ta place, j’aimerais mieux accepter un verre de kirsch que de me désoler à vide… Quand on ne peut pas, que diable ! on ne peut pas…

La tête de Jean se releva tout à coup.

— J’ai trouvé ! s’écria-t-il avec une figure radieuse.

— Qu’as-tu trouvé ?

— J’ai trouvé le moyen d’avoir une tenue.

— Ah ! bah !

— Tu vas voir… tout ce qu’il y a de mieux !

Jean ne se possédait pas de joie. Il avait oublié le malheur de sa famille ; l’avenir lui souriait ; il voyait des tas d’or, une vieillesse heureuse pour sa grand’mère. Il voyait sa mère dans une bonne boutique et un habit neuf sur le dos de Geignolet. Et il lui restait encore assez d’argent pour épouser sa gentille Gertraud, dont la pensée ne le quittait jamais.

Que de bonheurs !…

Il prit la main du dandy et la serra entre les siennes avec transport.

— Mon bon Polyte, dit-il, attends-moi seulement un petit quart d’heure.