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— Dieu de Dieu ! interrompit Polyte, est-il entêté ce garçon-là ! Moi qui te parle, j’en ai fait l’expérience… La première fois que j’ai touché une carte, j’ai gagné plein mes poches de pièces de cent sous, avec deux francs cinquante que j’avais… Juge de ce qu’on peut faire avec cent francs.

— C’est pourtant la vérité, pensa tout haut le pauvre joueur d’orgue.

— Quant à perdre dans ce cas-là, poursuivit Polyte dont l’éloquence s’échauffait, — ça ne s’est jamais vu… au grand jamais !… Et réfléchis donc un petit peu, mon bonhomme… quand la mère Regnault s’éveillera demain matin, et qu’elle verra de l’argent sur la table de nuit, comme elle sera contente !

— Mon Dieu ! mon Dieu ! si ça se pouvait !…

— Comme elle joindra ses mains, la pauvre vieille femme !… comme elle remerciera le bon Dieu !

Le souffle de Jean s’embarrassait dans sa poitrine, tant il était puissamment ému à l’idée de cette joie.

— Tu seras auprès de son lit, toi, poursuivit encore Polyte ; tu te cacheras dans quelque coin… tu la regarderas pleurer et rire.

Jean avait de grosses larmes sur sa joue.

— Et puis, acheva Polyte, tu t’approcheras petit à petit, bien doucement, sur la pointe des pieds, tu iras te mettre auprès de son chevet… elle t’embrassera !… comme vous serez heureux !…

Jean posa ses deux mains sur sa poitrine qui haletait.

— Ma mère ! murmura-t-il, ma pauvre bonne mère !… oh ! tu ne voudrais pas me tromper, Polyte… Je te crois et je veux suivre tes conseils.

Le dandy frappa dans ses mains, comme s’il eût remporté une grande victoire ; il mit le bras de Jean sous le sien et l’entraîna vers la place de la Rotonde.

— Ce n’est pas malheureux, dit-il en changeant de ton ; allons chercher l’argent bien vite et menons la chose en deux temps !

Il ne leur fallut pas plus d’une minute pour descendre la rue de la Petite-Corderie et gagner l’allée étroite qui conduisait à la pauvre demeure des Regnault.

— Monte, dit Polyte, et dépêche-toi… moi, je vais l’attendre ici…