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Jean ne bougeait pas.

Polyte le prit par les épaules et lui fit faire quelques pas dans la direction du marché ; le joueur d’orgue se laissa entraîner d’abord, puis il opposa de la résistance et s’arrêta.

— Je ne veux pas aller chercher les cent vingt francs ! murmura-t-il avec une sorte de honte.

— Pourquoi cela ?

— Parce que si ma pauvre grand’mère va en prison, elle aura grand besoin de cet argent.

— Mais tu n’as qu’à vouloir pour empêcher ta grand’mère d’aller en prison !

Jean découvrit son front qui brûlait, et tortilla sa casquette entre ses doigts.

— Jean, mon pauvre Jean, dit Polyte en colère, — j’ai bonne envie de t’envoyer au diable voir si j’y suis… mais il faut avoir un peu de patience avec les amis… Écoute, c’est une chose connue, il y a plus de cinq cent mille personnes qui me l’ont dit, et toutes des personnes comme il faut… La première fois qu’on tente la carte, on gagne toujours.

Le dandy parlait d’un ton de conviction profonde ; Jean se sentait ébranlé malgré lui.

— Pourquoi la première fois plutôt que les autres ? demanda-t-il encore pourtant.

Polyte haussa les épaules et le regarda en souveraine pitié.

— Que veux-tu que je te dise ? s’écria-t-il, je ne peux pas t’expliquer cela, moi… c’est des choses au-dessus de ta portée ; tu ne me comprendrais pas… Pour saisir ça, vois-tu bien, il faut avoir été un peu dans la société… Mais voyons, as-tu confiance en ton vieux Polyte ?

— Je crois que tu as envie de me tirer d’embarras, répondit Jean ; — mais…

— À bas les mais !… je n’en veux pas… Si tu as confiance en moi, ma parole doit te suffire… Eh bien ! aussi vrai comme voilà un bec de gaz, je suis certain de ce que je dis… la première fois qu’on joue on gagne… ça ne fait pas un pli !

— Si je le croyais !… commença le joueur d’orgue, à demi-persuadé.