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— Tu n’aurais jamais songé à cela, toi ? petit Jean, dit-il d’un air de triomphe ; — et pourtant c’est simple comme bonjour !… le trente et quarante n’est pas fait pour les chiens !

— Le trente et quarante !… répéta Jean, chez qui ces deux nombres accouplés n’éveillaient aucune espèce d’idée.

— Tu as appris le mot tout de suite, mon petit, poursuivit Polyte ; c’est déjà bon signe… Le trente et quarante est un jeu de cartes qu’on appelle comme ça, parce que… Enfin, n’importe !… C’est toujours un jeu qui n’est pas usité parmi les personnes du commun… C’est facile et ça va vite… Avec cent francs seulement tu auras ton affaire dans une demi-heure.

Le joueur d’orgue l’avait écouté jusqu’au bout. Il attendit deux ou trois secondes encore, puis il baissa la tête.

— Et c’est là ton idée ? murmura-t-il avec découragement.

— Un peu, mon fils.

— Tu n’as pas d’autre espoir que celui-là ?

— Comme c’est bête, s’écria Polyte, les gens qui n’ont pas vécu !… Ça parle à tort et à travers !… Puisque je te dis, moi, que c’est une affaire sûre.

— On peut perdre, pourtant…

— Jamais !

Le pauvre Jean désirait trop passionnément cette somme qu’on lui promettait, pour être bien difficile à persuader ; cependant sa raison droite et son bon sens se révoltaient contre cette assertion dénuée de toute vraisemblance.

Bien qu’il ne fût pas joueur, il ne pouvait ignorer que tout jeu implique la possibilité de perte.

Polyte s’indignait à le voir mettre si peu d’empressement à se réjouir.

— C’est étonnant ! grommelait-il avec mauvaise humeur ; c’est dans le pétrin jusqu’au cou et ça fait des façons pour se tirer de presse !… As-tu tes cent vingt francs sur toi ?

— Non, répondit Jean, ils sont à la maison.

— À ta place, moi, mon bonhomme, je serais déjà parti en double et j’aurais été chercher le magot.