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— Et c’est ce coquin de Johann qui fait tout cela ! s’écria-t-il. Si j’avais su, du diable ! si je lui aurais porté mes vingt-cinq sous tout à l’heure !… Quant au Bausse, il paraît que c’est un fameux sans-cœur tout de même… car elle est vieille, vieille ! n’est-ce pas, la mère Regnault, petit Jean ?

— Oh ! oui, elle est bien vieille !… et la prison la tuera !

— Quant à ça, mon bonhomme, la prison ne tue personne… On fait de drôles de noces à Clichy, sais-tu bien ?

— Tu n’y penses pas, mon Dieu !… ma pauvre grand’mère !

— C’est juste, ça ne sait pas nocer, répliqua Polyte avec un léger sentiment de dédain ; — mais Dieu de Dieu ! s’écria-t-il aussitôt après, faut-il que je sois gueux comme un rat… je n’ai que mes effets, moi, vois-tu. Ah ! si j’avais seulement fait des économies !

Il fouilla dans les deux goussets de son gilet et en tira deux pièces de trente sous.

— Il y a bien ma chaîne d’or, poursuivit-il en pesant ce bijou dont l’apparence était magnifique ; — mais c’est du cuivre…

Jean lui tendit la main.

— Merci, mon pauvre Polyte, dit-il, je vois bien que tu as toujours un bon cœur… mais tu ne peux rien pour moi…

— Minute ! répliqua le dandy, on peut consommer un franc cinquante à l’estaminet… pendant ce temps-là, les idées viennent…

— Je n’ai pas le cœur à cela, murmura Jean.

— Ça, c’est selon les tempéraments… Moi, un verre de quelque chose me fait toujours plus de bien que de mal… Mais cherchons ici, puisque tu le veux… Voyons, combien te faudrait-il en tout ?

— Avec les frais, ça va bien maintenant à plus de huit cents francs.

— Huit cents francs ! répéta Polyte. Si je demandais la somme à Joséphine, elle me mettrait bien huit cents fois à la porte !

Il regarda tour à tour son pantalon, son gilet et son habit.

— Tout ça vaut trente francs, murmura-t-il, au plus juste prix… Reste sept cent soixante-dix points à trouver…

Le côté comique de cette scène disparaissait sous l’émotion des deux interlocuteurs.