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Regnault était un honnête cœur ; il n’y avait en lui que de bons instincts, et l’honneur qu’il comprenait, sans le savoir, l’eût gardé personnellement contre toute chose honteuse ; mais, chez autrui, le vice ne le surprenait point. Il vivait, depuis son enfance, dans un milieu où la morale inconnue ou faussée admet d’étranges accommodements ; il voyait autour de lui l’infamie acceptée et admise jusque dans la vie de famille.

À Paris, les mœurs populaires sont ainsi faites ; le vice s’y arrange tranquillement et s’y fait une bonne place. Les mots et les idées tournent. De même que l’honneur commercial ressemble peu à l’honneur chevaleresque, de même la vertu se modifie et se transforme jusqu’à devenir, dans certaines classes de notre société, un absurde et hideux contresens. Ce qui s’appelle ainsi, c’est le vice organisé, paisible, payant son loyer, montant sa garde…

Le vice légal, qui se montre bonnement et qui arrive à cette extrémité monstrueuse d’avoir la paix de la conscience !

Ces gens ont un Évangile négatif : tout ce que le Code ne punit point expressément est pour eux le nec plus ultra du moral. Encore discutent-ils les menaces du Code, qu’ils trouvent aveugles et sévères !

Le mariage est pour eux une exception, un luxe ; ils s’accouplent au hasard ; ils jettent dans les boues de Paris, sans remords aucun, cette multitude de misérables enfants qui plus tard vont peupler les bagnes et fournissent des acteurs aux drames aimés de la cour d’assises…

Ces gens ne sont pas le peuple ; que Dieu nous garde de le dire ! mais ils forment une immense minorité dans la capitale des lumières. Ils n’habitent pas un quartier spécial : ils sont dans tous les quartiers, ils appartiennent nominalement à toutes les religions.

Quelques-uns, assis sur de hauts degrés de l’échelle sociale, sont ainsi par système ; on les appelle, ma foi, des philosophes ! Le plus grand nombre a du moins l’excuse de l’ignorance et de la misère.

Qui oserait nier ces choses ? Certaines familles, bien meublées et bien logées, poussent la naïveté de l’infamie jusqu’à pleurer comme perdue l’enfant qui s’est mariée avec un homme pauvre, tandis qu’elles citent avec orgueil cette autre enfant possédant équipage et cachemire, parce que sa jeunesse fut avantageusement escomptée…