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C’était Bouton-d’Or qui avait fait éclater cette dernière expression d’allégresse. L’enfant espiègle et hardie avait réussi à percer la foule ; d’un bond, elle s’était juchée sur la table, auprès du chevalier.

Mâlou restait en bas, prêt à servir de compère.

Bouton-d’Or prit une pose de danseuse et demeura immobile, caressant d’une main le menton du chevalier, de l’autre, suspendant à deux pouces au-dessus du crâne chauve de Reinhold la perruque déplorablement fripée.

En bas, Mâlou montrait ce groupe à l’aide d’une queue de billard, et disait avec l’emphase des gens qui expliquent les salons de cire :

— Tableau tiré de la mythologie… Psyché retrouvant la perruque de l’Amour…

Bouton-d’Or, excitée par son succès qui était grand et se traduisait dans l’assemblée en hilarité convulsive, allait passer à un autre exercice ; déjà ses grands yeux pétillaient de maligne espièglerie ; il n’y avait pas de raison pour que la comédie prît un terme de sitôt.

Heureusement pour le pauvre chevalier, la gaieté de Johann, alors même qu’elle avait une source méchante, ne durait jamais bien longtemps. Il jouit de la détresse burlesque de son patron durant quelques minutes, puis il en eut assez.

L’idée des dix mille francs lui revint, c’était plus qu’il n’en fallait pour le rendre sérieux.

Il perça la foule à son tour en jouant des coudes énergiquement, et se dirigea vers Mâlou.

À cet instant même, madame veuve Taburot, transportée d’une indignation légitime, quittait son trône et traversait la salle pour venir mettre le holà de sa personne, et prononcer le quos ego au milieu de ses pratiques révoltées.

Secouru ainsi des deux côtés, Reinhold ne pouvait manquer d’avoir sa délivrance ; mais l’aide la plus efficace ne lui vint pas de la maîtresse de l’établissement. La foule était dépassée. Madame veuve Taburot, nonobstant la majesté de son bonnet à rubans, et du journal vénérable qu’elle tenait à la main, aurait vraisemblablement perdu son éloquence.