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— Il faut qu’ils puissent s’acclimater dans le pays et jouer au besoin leur rôle de paysans du Wurtzbourg.

— Sans doute, mais…

— Ami Johann, cherchons.

Ils arrivaient devant la porte de la Girafe ; Johann attira le chevalier de l’autre côté de la rue, et se mit à compter de l’œil les buveurs rassembles dans son cabaret.

À mesure que son regard passait de l’un à l’autre, il hochait la tête avec mauvaise humeur.

— Voilà bien trois ou quatre Allemands qui feraient notre affaire, grommelait-il ; mais allez donc leur parler de la chose !… Hans Dorn le saurait dès ce soir, et le procureur du roi descendrait chez moi demain matin.

— Mais ce Hans Dorn lui-même, demanda le chevalier, ne pourrait-on pas l’acheter ?…

Johann leva sur lui un regard stupéfait.

— Acheter Hans Dorn ! murmura-t-il, c’est le mulet le plus obstiné qui soit dans le Temple… Vous êtes bien riche, monsieur le chevalier, mais vous vous ruineriez vingt fois avant d’avoir eu seulement un petit morceau de Hans Dorn !… À part les Allemands, je ne vois rien chez moi qui puisse vous convenir… Le père Batailleur est un vieux coquin qui a fait tous les métiers, et qui ne reculerait peut-être pas devant notre affaire ; mais c’est un Parisien pur sang, qui n’a jamais perdu de vue le dôme des Invalides, et qui ne sait guère d’autre langue que l’argot du Temple.

— Et ce beau-fils ? demanda Reinhold en montrant du doigt Polyte, qui sortait après avoir jeté ses vingt-cinq sous sur le comptoir.

Johann haussa les épaules énergiquement.

— Ça ! dit-il, c’est un feignant qui sent l’eau de Cologne… ça va sucer un cure-dent sur le boulevard, pour faire croire que ça a dîné chez Deffieux.

Deffieux est le café de Paris de ces latitudes.

Polyte avait épuisé la carte de la Girafe ; il remontait fièrement vers les théâtres, en écartant la poitrine et en faisant belle cuisse, pour imiter