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— Johann ! s’écria-t-elle, oh ! Johann… c’est monsieur le chevalier !

Le marchand de vin avait déjà quitté le groupe dont il faisait partie, et s’avançait vers Reinhold, la casquette à la main.

Le chevalier prit un air d’empereur ; son regard parcourut les rangs de l’assemblée, émue et saisie de vénération.

— Bonsoir, Lotchen, ma grosse mère, dit-il à la Girafe qui devint cramoisie de joie ; — voilà de bons garçons qui fêtent le lundi gras !… Ça me fait plaisir de voir le peuple s’amuser !… J’aime le peuple !… Versez un verre de vin à tous ces braves gens, Lotchen, afin qu’ils boivent à ma santé.

Il avait pris la pose de Henri IV prononçant le fameux vœu de la poule au pot.

La foule s’agita respectueuse et reconnaissante.

Le chevalier sortit d’un pas royal, en faisant signe à Johann de le suivre.

— C’est un brave homme tout de même ! s’écria Romain dit Batailleur, en vidant son verre de vin.

— De loin, ça semble des tigres, dit le neveu Nicolas d’un air niais ; — de près, c’est des bons enfants !…

Deux ou trois voix s’élevèrent pour protester, objectant qu’on avait saisi le jour même, à la requête du chevalier, une demi-douzaine de pauvres marchandes du Temple.

Mais la Girafe indignée, frappa de son broc d’étain contre le plomb du comptoir, et s’écria dans un élan inspiré :

— C’est des gueuses qui n’ont pas le moyen de payer leurs dettes !… Faudrait-il pas prendre des gants avec ça !

— Excusez ! appuya Batailleur, quand j’étais l’époux de madame, ça se trouvait qu’on avait par-ci par-là de mauvaises pratiques… Eh bien ! je dis qu’on les faisait marcher, quoi donc !

— Quoi donc !… répéta le neveu Nicolas.

— Parbleu, conclut l’assemblée, il faut de l’exactitude dans le commerce.

— Et puis, ça fait du bien aux bons sujets qui ont de quoi, reprit Batailleur ; — tenez, il y a la place de la mère Regnault, là bas au coin de