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— Oui, oui, oui, dit Batailleur en clignant de l’œil ; — l’enfant de l’amour et du mystère !…

Madame Batailleur versa du parfait amour jusqu’à moitié de sa tasse vide, et reprit brusquement avec sa voix d’homme :

— C’est juste que vous m’avez parlé bien des fois de la petite fille… mais, voyez-vous, moi, je ne comprends pas grand’chose à tout ça… En définitive, où diable est-elle, cette enfant-là ?

Sara ne s’offensait jamais de ses rudes manières.

— Ma fille ! murmura-t-elle en levant les yeux au ciel ; ma pauvre Judith !… elle est loin de sa mère et confiée à des étrangers… elle souffre…

— Et pourquoi souffre-t-elle ? interrompit la marchande.

— Hélas ! dit Sara, vous savez bien que j’ai fait tout ce que j’ai pu… je me suis humiliée devant mon mari… je l’ai prié, je l’ai supplié… il ne tenait qu’à lui d’avoir en moi une femme douce et dévouée…

Batailleur qui ne savait pas se gêner, fit rondement un geste d’incrédulité…

— Oh ! croyez-moi, ma bonne Joséphine, reprit Petite, je ne demandais qu’à l’aimer !… S’il avait eu pitié de ma pauvre enfant, j’aurais été à lui pour la vie !

Batailleur secoua la tête d’un air sérieux.

— Faut être juste, dit-elle, ces choses-là ne se font pas !… Le cher homme vous aimait trop pour prendre l’enfant à la maison, et si j’avais été à sa place…

— Ne dites pas cela ! s’écria Petite précipitamment.

On touchait le seul point de son cœur qui eût une apparence de sensibilité.

— Ne dites pas cela ! répéta-t-elle ; je lui avais tout avoué…il savait que cet enfant était le fruit d’une séduction odieuse… J’étais si jeune alors !… devait-il me faire supporter le châtiment d’une faute qui n’était point la mienne ?… et s’il voulait me punir, devait-il étendre la peine jusque sur cette créature innocente pour qui je lui demandais pitié ?… Oh ! c’est pour cela que je le déteste, ma bonne !… c’est pour elle, pour elle seule !… et maintenant qu’il souffre, à mon tour, je n’ai pas de compassion !…