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grande dame le jeta hors de son sang-froid. Il devint rouge comme une tomate, toucha ses cheveux, frisa sa moustache, et finit par planter carrément ses deux mains dans ses poches.

Puis sentant vaguement que ce geste n’était point comme il faut, il remit ses mains au jour avec précipitation et se creusa la tête pour savoir ce qu’en faire.

Madame Batailleur, elle, était une femme de trente-cinq à quarante ans, fraîche encore et assez jolie. Elle avait la figure ronde et pleine, les joues colorées, de petits yeux souriants, de grandes dents blanches, et cette espèce de cheveux gris-blonds, qui s’ébouriffent sous la casquette des gamins de Paris.

Ce n’était ni le blond doré des belles filles de l’Allemagne, ni le blond perlé des vierges pâles qui nous arrivent de Londres. C’était le blond parisien, cette nuance dont César parle tant de fois dans ses Commentaires, et que Julien l’Apostat aimait passionnément.

Un blond qui n’est pas laid, Dieu nous garde de le dire, mais qui semble terne à l’œil, et qui n’a point de reflet ; un blond qui serait fade, s’il n’était pauvre, et qui choisit d’ordinaire pour les teindre les chevelures étiolées ou crépues.

Ce blond est excessivement rare parmi les femmes qui ont le droit de porter chapeau ; il coiffe généralement des têtes de grisettes ; — le crâne des polissons de notre boulevard n’a pas d’autre parure.

Les cheveux de madame Batailleur étaient de ce blond-là ; elle en avait peu ; ils étaient rebelles au fer et insensibles à la pommade.

Ses sourcils étaient de la même couleur, et encore ses cils, courts et mal fournis.

Quoi qu’il en soit, elle avait fait bien des conquêtes en sa vie, et l’audace joyeuse qui brillait sur son visage plaisait encore à plusieurs militaires.

Mais madame Batailleur était de son siècle ; elle dédaignait l’uniforme ; il lui fallait des fashionables.

Elle avait une taille grassouillette, un peu plus élevée que celle de Sara ; sa toilette consistait en une robe de satin puce, première qualité, défendue contre les accidents par un grand tablier de cotonnade bleue, tigré de taches de graisse. Autour de son cou potelé, mais légèrement bruni,