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— Lia ! chère petite sœur, dit une voix dans le corridor, venez donc ! on vous attend…

— C’est ma sœur aînée ! murmura la jeune fille ; cachez-vous bien vite, Otto… Il fait presque nuit… On ne vous verra pas…

Machinalement et sans penser, Rodach se laissa conduire dans une embrasure et demeura immobile derrière les rideaux fermés.

— Eh bien ! petite sœur !… disait-on au dehors.

C’était en effet Sara, dont le flair, éveillé, avait senti quelque chose, et qui venait guetter, comme un chien sur le point de démêler la piste.

Lia lui répondit quelques mots au hasard ; puis elle ajouta tout bas, en s’adressant à Rodach :

— Je vais laisser la porte ouverte… quand nous serons parties, vous gagnerez le corridor, qui vous conduira au jardin… une fois dans le jardin, vous n’aurez que les bureaux à traverser pour vous trouver dehors. Mais, dites-moi bien vite : quand vous reverrai-je ?

Otto garda le silence.

Petite éleva de nouveau sa voix impatiente et pressée ; Lia fut obligée d’aller lui ouvrir.

Au moment où la porte tournait sur ses gonds, Petite jeta son regard avide à l’intérieur.

Elle ne vit rien. Elle cacha son désappointement sous un sourire, et baisa bien tendrement sa jeune sœur ; puis elle lui prit le bras, et toutes deux s’éloignèrent.

Rodach resta une ou deux minutes à son poste. Quand il souleva les rideaux pour quitter sa cachette, cette expression de morne inertie que nous avons vue naguère sur son visage avait disparu.

C’était un homme fort contre la souffrance ; ce coup qui brisait tous ses espoirs de bonheur l’avait frappé à l’improviste, et un instant son cœur avait fléchi, mais il se redressait déjà dans sa vaillance éprouvée, et si les traces de la douleur restaient profondes sur son front, du moins portait-il maintenant la tête aussi haut que jamais.

— Que Dieu la protège ! murmura-t-il en traversant la chambre ; — je l’aime de toutes les forces de mon âme… mais il faut que le sang de Bluthaupt soit relevé !