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La nuit qui tombait lentement mettait comme un voile sur tous ces objets, et les confondait dans une demi-teinte harmonieuse.

C’était le lieu de rêver doucement et de parler d’amour…

Il y avait une chose étrange. Depuis que le baron de Rodach était entré dans cette chambre où l’accueillait l’hospitalité confiante de Lia, son visage s’était rembruni peu à peu. Au lieu de cette joie vive qu’il avait éprouvée au premier moment de la réunion, il semblait subir l’atteinte d’une inquiétude croissante. Il ne répondait plus aux caresses de la jeune fille. Son regard était toujours fixé sur elle, mais il exprimait un sentiment de plus en plus pénible, et qui arrivait à être de l’angoisse.

Ses sourcils étaient froncés sous l’effort d’une pensée douloureuse ; sa joue était pâle, et il y avait un sourire amer autour de sa lèvre.

Lia, la pauvre fille, ne prenait point garde et continua de dire sa joie.

La souffrance du baron devint ensuite si visible qu’elle ne put manquer de l’apercevoir.

Elle s’arrêta, bouche béante, au milieu d’une phrase, entamée joyeusement.

— Qu’avez-vous, Otto ? murmura-t-elle épouvantée.

Otto fut quelques secondes avant de répliquer. Quand il prit la parole enfin, ce fut pour poser une question dont il ne savait que trop bien la réponse d’avance.

— Lia, dit-il d’une voix creuse et intelligible à peine, — d’où vient que je vous trouve dans cette maison ?

La jeune fille le regarda, étonnée ; puis elle essaya un timide sourire.

— C’est vrai, dit-elle ; vous ne savez pas, Otto… Vous me croyez, comme tout le monde, la fille de ma bonne tante Rachel…

Rodach attendait et ne respirait plus.

— Si vous l’aviez voulu, reprit Lia, il y a bien longtemps que vous sauriez tout cela… Cette maison est à mon père.

Une sueur froide mouilla les tempes de Rodach.

— Vous êtes la fille de Moïse de Geldberg ? balbutia-t-il avec peine, et comme si chaque mot eût déchiré sa gorge au passage.

— Oui, répondit Lia, qui baissa involontairement les yeux sous le regard fixe que lui jetait Rodach.