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plie n’avait point laissé de loisir à son cœur ; il avait été tout entier à sa tâche.

Bien des femmes avaient croisé sa route depuis l’âge où, d’ordinaire, le cœur de l’homme naît à la passion. Mais son regard avait glissé sur leur beauté, indifférent et froid. Il y avait un souvenir de mort qui s’étendait comme un voile lugubre entre lui et la pensée d’aimer.

Plus la femme aperçue était belle, plus elle se rapprochait de l’image funeste gravée au fond de sa mémoire. Un tableau qu’il n’était point possible de chasser venait devant ses yeux éblouis : un grand lit à colonnes antiques, où se couchait une femme pâle qui allait mourir…

Sa sœur, sa sœur chérie, qu’il avait aimée d’une tendresse pleine de passion et qui le gardait contre tout autre amour !

Arrière les molles pensées de volupté qui bercent la jeunesse des autres hommes ! son sort à lui était de venger et de combattre. Il y avait par le monde un enfant cher, qui était le fils de cette sœur adorée et qu’il fallait faire de mendiant un grand seigneur.

Il y avait une race noble, descendue au plus bas degré du malheur, et qu’il fallait relever puissante et splendide, comme jadis.

Il y avait, avec le meurtre d’une sœur, l’assassinat d’un père à venger !

C’était assez pour toute la vie d’un homme : Otto se retranchait à l’abri de cette tâche austère et ne croyait point à l’amour. Longtemps l’amour l’oublia ; mais il vint enfin, et cette forte cuirasse, dont Otto croyait son âme défendue, s’évanouit, comme une enveloppe de glace tombe et se fond aux premiers rayons du soleil.

Plus il pensait être invulnérable, moins il prit de précautions ; l’amour entra dans son cœur à l’improviste. Quand il voulut combattre, il n’était plus temps.

Ce furent des luttes vaines, des combats épuisants, où il n’y avait point de victoire possible.

Il gardait en lui un trésor amassé de passion ; il aima, en une seule fois, pour toutes ses longues années d’indifférence et de froideur.

Mais la passion victorieuse ne lui fit pas oublier un seul instant son devoir ; son cœur se partagea ; il y avait place pour deux pensées…

Les mois s’écoulèrent. Otto, toujours poursuivi par les polices alle-