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N’avait-elle pas tout ce qu’il lui fallait dans la maison de sa tante ? Que lui importaient ces filles et ces garçons qu’elle ne connaissait point ? C’était une petite sauvage ; son instinct l’éloignait de la foule.

Elle aimait les bois ombreux, la plaine sans limites, et son bonheur était de courir à cheval par les sentiers ignorés.

Quand elle était bien loin du village, et qu’elle avait égaré sa route à plaisir, elle s’arrêtait, reposant sa vue avec délices sur le paysage inconnu ; elle attachait son cheval à un arbre ; elle ouvrait un livre, et bien souvent il faisait nuit noire lorsque sa tante, inquiète, la voyait revenir.

Durant ses longues promenades, Lia rêvait, mais ses rêves ne ressemblaient guère aux mélancoliques romans que les jeunes filles bâtissent à l’aide de leur mémoire. Ses songes étaient souriants et doux ; elle s’égayait avec la nature fleurie, et les bonnes gens des campagnes qui la rencontraient par hasard se sentaient réchauffer le cœur à la voir si heureuse et si belle.

S’ils étaient riches, elle leur rendait un bonjour cordial pour leur salut respectueux ; s’ils étaient pauvres, sa bourse s’ouvrait, et le don qui tombait de sa main charmante ne ressemblait point à une aumône.

On la connaissait à plusieurs lieues à la ronde. C’était de la joie lorsqu’on entendait de loin le trot de son petit cheval. Le père et la mère venaient avec les enfants sur le pas de la porte, et sitôt qu’on apercevait sa taille svelte, serrée dans un corsage de velours sombre, toutes les mains s’agitaient en signe de bienvenue.

Lia Muller, c’était ainsi qu’on l’appelait, était la favorite de tous. Son nom prononcé, faisait naître au fond de tous les cœurs des idées de douceur, de grâce et de beauté.

Les petits enfants l’aimaient comme la bonne fée qui venait sourire à leurs jeux ; les mères l’auraient voulu pour fille, et, quoiqu’elle fût bien jeune encore, plus d’un beau garçon d’Esselbach s’éveillait en soupirant, pour l’avoir vue passer la veille.

Les beaux garçons soupiraient en pure perte. Nulle image aimée ne flottait encore parmi les rêveries de Lia, qui était une enfant.

Elle n’avait pas tout à fait quinze ans.

Une fois pourtant elle revint au logis de Rachel avec un nuage sur le