Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/571

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Écoutez-moi, Mosès, reprit la mourante, dont le visage était calme, et qui retrouvait, à cette dernière heure, comme un reflet de beauté sereine ; — vous ne m’avez jamais rien refusé durant ma vie ; voulez-vous m’accorder une dernière grâce, à ce moment que nous allons nous séparer pour jamais ?

Mosès Geld, qui ne pouvait parler, fit un signe de tête affirmatif.

La voix de l’agonisante s’affaiblissait, de seconde en seconde.

— Ma sœur Rachel Muller, qui demeure auprès d’Esselbach, poursuivit-elle, aimait bien notre petite Lia au temps de son enfance… Je voudrais que notre chère fille fût éloignée de cette maison et confiée aux soins de ma sœur Rachel.

— Pourquoi ? murmura Mosès.

Ruth ne répondit point : elle avait peur de Sara, sa fille aînée, dont elle avait dès longtemps deviné le cœur ; mais elle ne voulait point accuser à l’heure de mourir.

Mosès Geld hésitait.

— Dieu m’est témoin, dit-il enfin, que je ne voudrais pas refuser, Ruth, ma bien aimée… Mais Rachel est chrétienne…

— Mieux vaut adorer le dieu des chrétiens que l’esprit du mal, répliqua Ruth d’une voix à peine intelligible ; Mosès, mon mari, je vous en supplie, ne repoussez pas ma dernière prière !

— Lia sera confiée aux soins de notre sœur Rachel, dit le juif.

— Jusqu’à l’âge où la femme apprend à se conduire elle-même, reprit Ruth ; — promettez-moi que Lia ne reviendra pas à Paris avant sa dix-septième année.

— Je vous le promets, au nom du Dieu saint !

Ruth prit la main de son mari et la posa sur son cœur, qui battait encore. Elle n’avait plus de paroles, mais son regard disait sa reconnaissance. Au bout de quelques minutes, son cœur s’arrêta sous la main de Geld ; ses yeux étaient fermés à demi et sa bouche demeurait entr’ouverte. — Vous eussiez dit un sommeil souriant.

Elle était morte…

Lia partit pour l’Allemagne.

Peu de temps après cette mort, Moïse de Geldberg, qui avait résisté