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CHAPITRE X.

LE PROSCRIT.

Lia de Geldberg n’avait pas dix-huit ans ; il y avait onze ans qu’elle avait perdu sa mère. La femme de Mosès Geld, cette belle Ruth que nous avons vue autrefois, au milieu de ses enfants, dans le salon mystérieux de la Judengasse, était morte peu de temps après avoir quitté l’Allemagne.

C’était une créature douce et bonne, qui n’avait jamais trempé dans les trafics ténébreux de son mari. La fortune rapide de Mosès Geld lui faisait peur, loin de l’éblouir. Elle regrettait l’obscure tranquillité des premières années de son mariage, et c’était en frémissant qu’elle songeait parfois à la source inconnue de cet or qui ruisselait autour d’elle.

Mosès ne lui avait jamais dit son secret, mais souvent il devenait sombre quand arrivait la nuit, et souvent encore son sommeil agité laissait échapper d’étranges paroles.

Plus d’une fois Ruth s’était éveillée en sursaut à ses cris. Elle l’avait vu, les yeux demi-ouverts, la joue livide, les tempes baignées de sueur ; il luttait contre l’angoisse d’un rêve, et sa bouche contractée murmurait :

— Seigneur ! Seigneur ! c’est pour eux !… c’est pour mes pauvres enfants que j’ai tout fait !…

Ruth l’éveillait doucement et ne l’interrogeait point.