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— Bon Goëtz ! murmura-t-elle.

Puis elle ajouta, sans intention de raillerie aucune, et d’un accent pênétré :

— Le malheur, c’est qu’on ne peut jamais savoir si vous êtes ivre…

Rodach s’inclina en souriant.

— Ne vous fâchez pas de cela, mon Goëtz, reprit Esther, vous savez bien que je vous aime comme vous êtes… Mais gageons que vous avez passé la matinée à jouer et à boire ?

— Quand on attend le soir avec impatience, dit Rodach galamment, — il faut bien tuer les heures…

Esther le regarda avec admiration.

— Il a beau boire comme un templier, murmura-t-elle, il vous a toujours un grand air de gentilhomme !… et de l’esprit !… Goëtz, il ne faut vous corriger jamais !… Je crois que je vous aime mieux avec vos vices !

Elle se haussa sur la pointe des pieds et tendit son beau front où Rodach mit un baiser de bonne grâce.

La pendule sonna cinq heures.

Esther tressaillit et lâcha précipitamment le bras du baron.

— Mon Dieu ! dit-elle, vous me faites aussi folle que vous ! à vous voir, j’oubliais le lieu où nous sommes ; je ne songeais qu’à mon plaisir… Il faut vous retirer, Goëtz, nous nous reverrons ce soir.

— C’est que, répliqua le baron, je suis arrivé ici un peu au hasard, et je ne sais pas si je retrouverais ma route.

Esther montra du doigt la porte vitrée, mais son bras retomba et la parole s’arrêta sur sa lèvre.

— Par là, pensa-t-elle tout haut, — il va rencontrer le chevalier ou le docteur.

— Par ici, reprit-elle, c’est la route de mon père, d’Abel et de Lia.

Sa figure exprimait maintenant une inquiétude sérieuse, et qui semblait croître à chaque instant.

— Vous ne pouvez pas rester ici, pourtant ! s’écria-t-elle en frappant du pied. — Mon Dieu ! mon Dieu ! comment faire, et pourquoi êtes-vous venu !…