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Le jour baissait. La fraîcheur du soir avait mis une brume aux vitres du pavillon de Lia. Esther et Petite, qui ne pouvaient plus rien voir, s’étaient assises de nouveau l’une en face de l’autre, auprès du foyer.

— Et que voulez-vous craindre, chère ?… disait madame de Laurens ; — tout est prévu ; vous serez là plus en sûreté que sous votre masque d’hier ! Pensez-vous que je me sois donné pour rien tant de peine ?… Si j’ai fourni des fonds à Batailleur ; si j’ai commandité la maison, pour ainsi dire, c’est que j’y voulais être maîtresse absolue… Vous verrez avec quelle adresse tout cela est disposé ! Auprès du banquier, il y a une sorte de loge grillée que les habitués nomment le confessionnal de la princesse. Ils sont convaincus que, derrière le grillage recouvert d’un rideau de mousseline, se trouve une personne de haute importance, qui vient là satisfaire à huis clos sa passion pour le jeu… On pense même que cette puissante dame pourrait, en cas de surprise, paralyser l’action de la police.

Esther se prit à sourire.

— Depuis quelques jours, poursuivit Petite, Batailleur a fait circuler parmi les habitués une autre version… Le rideau de la loge ne cacherait plus une princesse, mais un grand personnage politique, indigène ou étranger, un ambassadeur, peut-être un ministre… En admettant cette dernière hypothèse, vous pensez bien, chère, que nous n’avons rien à craindre de la part du gouvernement…

— Et c’est vous qui êtes dans la loge ? interrompit Esther.

— Pas toujours… la loge est une précaution réservée pour les cas dangereux, un asile… Comme j’exerce un souverain droit de contrôle sur l’admission des joueurs, je sais avant d’entrer dans la salle s’il y a chance pour moi d’être reconnue… j’ai à choisir entre la loge et un des fauteuils qui attendent autour de la table… quand je choisis le fauteuil, c’est qu’il n’y a rien à craindre, mais, par excès de précaution, je donne une tournure exotique à ma toilette, et je mets ma tête entre les mains de Batailleur, qui a trouvé le secret de me faire une physionomie de rechange…

— Elle est donc bien adroite, décidément, cette Batailleur !…

— Ma chère, c’est une fée !… Une fois assise auprès de la table, l’en-