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» Mais elle me semble ne point aimer mes sœurs, et Petite m’a bien recommandé de me méfier d’elle.

» Petite, c’est ma sœur aînée. On ne lui donne ici que ce nom. Je retarde tant que je puis à vous parler d’elle, et c’est d’elle pourtant que je veux vous parler.

» Depuis mon arrivée, mon autre sœur est avec moi indifférente et froide ; Petite, au contraire, a feint tout d’abord un empressement affectueux. Elle a mis une sorte de coquetterie à gagner ma confiance ; j’ai commencé par la juger bonne et véritablement aimante.

» Pour attirer mes confidences, elle m’a fait les siennes, et avec quelle adresse ! Des peccadilles d’abord, moins que cela, quelques escapades de grande dame qui descend à se conduire comme une bourgeoise…

» Elle me conduisit, en s’accusant bien haut, chez une femme Batailleur, marchande au Temple, qui lui vendait des colifichets au rabais.

» Quand elle vit que cette caravane ne m’effrayait guère, elle fit un petit pas en avant, et sonda le terrain avec plus de hardiesse.

» Elle donna de grandes louanges à cette femme Batailleur, qui fait mille métiers douteux, mais dont la discrétion est à toute épreuve. À ce propos, Otto, je veux vous dire que j’ai revu cette femme toute seule, et que je l’ai payée pour recevoir vos lettres.

» Elle demeure rue du Vertbois, no 9. Puissé-je trouver bientôt une lettre de vous à cette adresse !…

» Je comprenais mal ce que me disait ma sœur aînée, et comme elle me parlait en souriant, je souriais sans lui répondre.

» Comment vous dire cela, Otto, à vous si noble et si fier !…

» Petite, qui a presque le double de mon âge, et qui aurait dû me servir de mère, voulait me perdre. Sous cette affection jouée, il y avait une sorte de haine dont je ne puis deviner les motifs. Je ne sais si elle est coupable elle-même, mais elle voulait me rendre coupable…

» Elle me parla de plaisirs inconnus et de mystérieuses délices. Son éloquence perfide déroula devant moi mille tableaux de séduction.

» Je trouvai dans ma chambre des livres… que sais-je !… je vous en ai dit assez… j’ai le rouge au front, et ma plume tremble. »

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