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marchez toujours, sans songer à la pauvre fille qui vous aime ; son plus grand malheur serait d’être un obstacle sur votre chemin !

» En regardant les ruines de Thor, vous prononçâtes quelques paroles qui furent pour moi un trait de lumière. Je devinai, pour la première fois, que vous étiez le serviteur d’une race déchue, et qu’un grand dévouement réclamait votre vie.

» Vous m’aviez dit bien souvent : je ne m’appartiens pas ; en ce moment, je compris…

» Otto, je ne suis point jalouse de ce que vous donnez à d’autres. J’aime celui que vous aimez, et je serais heureuse de lui dévouer ma vie. Travaillez et combattez ! ma prière vous suit. Mais si quelque jour vous êtes vainqueur, pensez à moi et revenez…

» Revenez surtout, si Dieu ne vous donne point la victoire. »

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« Il y a deux jours que ces lignes sont écrites, et je n’ai point fermé ma lettre, parce que j’hésite à vous envoyer des paroles de tristesse.

» Je continue pourtant, — quand je vois votre nom sur le papier, il me semble que vous êtes là ; il me semble que vous écoutez ma plainte et que votre voix aimée me console.

» J’ai plus d’une chose à vous dire, Otto ; je crois que je serai malheureuse dans cette maison. Depuis deux jours ma crainte est éveillée et je n’ai personne à qui me confier.

» C’est un enfantillage, peut-être. D’ordinaire, les choses mystérieuses se font la nuit, et la peur attend les ténèbres…

» Moi, c’est en plein jour que j’entends ici des bruits étranges ; je ne puis les expliquer, et ils m’effraient.

» Presque toute la journée, je me tiens dans un pavillon dont je vous ai parlé déjà et qui donne sur le jardin de l’hôtel. De ce pavillon on entre dans une serre qui occupe toute la longueur du jardin.

» Tous les jours, vers huit heures et demie du matin, j’entends un pas pesant, mais discret, qui semble descendre les marches d’un escalier invisible, situé tout près de moi.

» Il y a des moments où je me retourne, persuadée que les pas se font entendre dans ma chambre même…