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« Vous ai-je dit de ne plus m’aimer, Lia ! disait la lettre ; oh ! ne me croyez pas !… je cherche à me tromper moi-même. Que deviendrais-je sans votre amour ! c’est lui, lui seul, qui me donne la force de combattre mon désespoir !

» Ceux qui me connaissaient jadis répétaient que mon âme était robuste, et que nul malheur ne pourrait courber ma volonté de fer ; ils avaient raison ; ma volonté reste inébranlable, et je sais bien que je pourrais mourir sans me plaindre, comme aux jours de ma force.

» Mais qu’est-ce que la mort ? c’est vivre qu’il faut savoir ! c’est garder patiemment sa vigueur en réserve pour l’heure du combat ; c’est souffrir, et n’en point être plus faible ; c’est enfouir son ardeur tout au fond de son âme, pour l’en retirer vierge aux jours de la liberté !…

» Là est la vaillance… Plus d’une fois déjà les portes d’une prison se sont fermées sur moi ; j’étais plus jeune, peut-être plus fort, du moins, je ne désespérais pas. Les heures de ma captivité se passaient à préparer ma délivrance ou à combiner le plan de la bataille qui devait mettre enfin mon pied sur la gorge de mes ennemis.

» Et pas un instant de lassitude ou de doute ! ma main était ferme, ma pensée lucide ; le chemin était tracé devant moi ; tandis qu’on me croyait enchaîné, je marchais !…

» Mon sang s’est-il refroidi ? suis-je plus faible ou moins courageux ? Je ne sais ; mais, parfois, durant la lente solitude de mes nuits, mon cœur se serre, et un voile de deuil s’étend pour moi sur l’avenir…

» Le but que je poursuis n’est pas une stérile vengeance. Quand j’étais jeune et heureux, j’ai risqué plus d’une fois ma vie pour la liberté de l’Allemagne ; mon père, qui était un saint homme et un chevalier, est mort pour cette cause…

» Nous étions trois frères qui marchions sur ses traces, et comme il nous avait commandé de donner notre sang à la patrie, nous allions, bravant les séides des rois, et cherchant partout le martyre.

» En ce temps, Lia, les hommes que je combats aujourd’hui n’avaient encore tué que mon père ; plus tard, ils assassinèrent ma sœur ; — une douce enfant comme vous, Lia, qui avait votre âme sainte, et que j’aimais presque autant que je vous aime !